Introduction
Alors que la Russie s’enlise dans la guerre en Ukraine, son orientation stratégique bascule de plus en plus à l’Est. Privée de débouchés occidentaux, elle se tourne vers son grand voisin chinois, qui semble prêt à soutenir Moscou à court terme… mais pour mieux en tirer profit à long terme. La dépendance croissante de la Russie vis-à-vis de la Chine pourrait bien se solder par une influence décisive, voire une mainmise progressive sur l’Extrême-Orient russe, une région immense, riche en ressources mais sous-peuplée et historiquement contestée.
1. Une région sous-peuplée et convoitée
L’Extrême-Orient russe couvre plus de 6 millions de km² mais compte moins de 6 millions d’habitants. Face à lui, la Chine aligne 110 millions d’habitants dans ses provinces frontalières. Depuis deux décennies, les entreprises chinoises investissent dans les forêts, les terres agricoles et les mines de la région. Des contrats de location de terres sur 50 à 99 ans sont signalés, ainsi que des flux migratoires discrets mais constants.
2. La guerre, catalyseur de la dépendance
Depuis 2022, la Russie est acculée par les sanctions occidentales. Elle vend son pétrole et son gaz à prix cassé à la Chine, signe des contrats commerciaux inégaux, et dépend des technologies chinoises pour maintenir son industrie militaire. Cette relation asymétrique transforme la Russie en fournisseur docile de matières premières et en débouché obligé pour les exportations chinoises.
3. Une domination douce mais systémique
La Chine n’a pas besoin d’envahir l’Est russe : elle y déploie ses entreprises, ses normes, ses infrastructures et ses travailleurs. Les villes frontalières russes comme Blagovechtchensk ressemblent de plus en plus à des villes chinoises en miniature. La population locale, vieillissante, est souvent résignée ou pragmatique face à cette domination économique. Si la Russie implosait, Pékin pourrait invoquer la stabilité régionale pour y étendre formellement sa tutelle.
Encadré historique : du traité de Nertchinsk à la perte du fleuve Amour
Le traité de Nertchinsk (1689), premier traité signé entre la Russie et la Chine des Qing, fixait une frontière provisoire favorable aux Chinois. Mais en 1858, profitant de la faiblesse de l’Empire Qing face aux puissances occidentales, la Russie impose la rétrocession de l’Amour à travers le traité d’Aïgoun, puis celui de Pékin (1860). Aujourd’hui encore, cette perte reste un traumatisme dans l’historiographie chinoise, source de revendications implicites ou de revanche douce.
Conclusion
La Russie, en croyant s’éloigner de l’Occident, s’est volontairement placée dans l’orbite d’une Chine patiente, rationnelle et stratège. L’Extrême-Orient russe, longtemps oublié par Moscou, devient peu à peu une extension fonctionnelle du projet chinois. Ce glissement n’est pas une annexion armée, mais une colonisation par contrat, investissement et dépendance. Une conquête moderne, sans bruit, mais aux effets potentiellement irréversibles.