Alors que les arrêts maladie explosent en France depuis 2020, certains éditorialistes n’hésitent pas à pointer les pays nordiques comme des modèles de gestion préventive. Mais l’analyse mérite d’être approfondie. La France souffre-t-elle d’un excès de protection, ou d’un déficit de confiance sociale ?
Prévalence et taux : deux réalités différentes
En France, 44 % des salariés ont été absents au moins une fois en 2022. C’est ce qu’on appelle la prévalence. Elle est très élevée par rapport à la Suède (30 %), la Norvège (24 %) ou le Danemark (20 %). Mais attention : le taux d’absentéisme, qui mesure le pourcentage du temps de travail perdu, reste comparable dans certains cas (5,06 % en France, 4,7 % en Suède, mais seulement 2,2 % au Danemark).
Niveaux d’indemnisation : plus généreux au Nord ?
Les pays nordiques indemnisent mieux les arrêts : 80 à 100 % du salaire, dès le 1er jour, et jusqu’à un an. En France, l’indemnisation de base est de 50 %, complétée par l’employeur selon la convention collective. Dans de nombreux cas, le salarié français est indemnisé à 90 % voire 100 % pendant 30 jours. Mais cette générosité masque une autre réalité : le système français est peu structuré pour accompagner le retour au travail.
Un révélateur du lien social
Le cœur du problème semble être ailleurs : dans la relation de confiance. Dans les pays nordiques, l’arrêt maladie fait l’objet d’un suivi régulier, avec une logique de réinsertion. L’indemnisation repose sur la confiance accordée au salarié, mais elle s’accompagne de mécanismes de responsabilisation. En France, c’est presque l’inverse : protection forte, mais rupture de lien avec l’entreprise et peu d’accompagnement.
Conclusion
Ce n’est pas parce que les pays nordiques indemnisent mieux qu’ils ont moins d’absents : c’est parce qu’ils maintiennent une confiance sociale et un équilibre entre droits et devoirs. En France, la défiance et l’isolement social transforment parfois l’arrêt maladie en fuite, plus qu’en soin. Une vraie réforme ne devrait pas seulement s’attaquer aux chiffres, mais au climat social.
Tableau comparatif
| Pays | Prévalence (%) | Taux d’absentéisme (%) | Jours moyens d’absence | Indemnisation (% salaire) | Délai de carence | Durée max prise en charge | Suivi/Réintégration |
| France | 44 | 5.06 | 22.5 | ≈60–90% | 3 jours | ~360 jours | Peu structuré |
| Suède | 30 | 4.7 | 15.0 | 80% | 1 jour ou -20% | 364 à 550 jours | Oui |
| Danemark | 20 | 2.2 | 8.9 | 100% → 90% | 0 jour (selon convention) | 22 sem. sur 9 mois | Oui |
| Norvège | 24 | 4.9 | 13.5 | 100% | 0–3 jours (auto-déclaré) | 52 semaines | Oui (NAV obligatoire) |
Prévalence : le vrai angle mort du débat
On parle beaucoup du taux d’absentéisme, car il permet un calcul comptable simple : nombre de jours perdus, coût pour l’entreprise, impact sur le PIB. Mais on oublie presque toujours la **prévalence**, c’est-à-dire le nombre de salariés concernés.
Une prévalence élevée, comme en France (44 % des salariés absents au moins une fois), est un **véritable cauchemar pour la gestion des ressources humaines**. Elle introduit une instabilité permanente : remplacement en urgence, surcharge ponctuelle, reports de tâches, perte de rythme collectif.
Même si chaque arrêt est court, leur fréquence déstructure les organisations. Contrairement aux absences longues, qui peuvent être anticipées, les absences récurrentes à court terme sont **imprévisibles et déstabilisantes**.
Réduire la prévalence devrait devenir un **objectif stratégique** : il s’agirait non pas de rogner sur les droits ou les indemnités, mais de reconstruire une **relation de confiance, de sens et de stabilité dans le travail**. Cela implique aussi que les entreprises **réinterrogent leurs pratiques managériales, la charge mentale au travail, et les dynamiques d’équipe**.