Une colère compréhensible mais incomplète
On s’indigne, à juste titre peut-être, des 600 suppressions de postes annoncées par ArcelorMittal à Dunkerque, quelques mois à peine après l’annonce d’une aide publique de 300 millions d’euros. La presse, les syndicats, les élus locaux parlent de trahison. Comme souvent dans ce type d’affaires, chacun s’empare d’un fragment de vérité, mais personne ne semble vouloir la totalité des faits.
Une aide publique pour décarboner, pas un chèque en blanc
Pourtant, cette aide de l’État n’a pas été versée par naïveté. Elle s’inscrit dans un plan industriel majeur : la décarbonation d’un des sites les plus polluants de France, dans un secteur – la sidérurgie – essentiel pour notre économie et notre autonomie stratégique. Le projet dans son ensemble représente 1,8 milliard d’euros d’investissement. L’État en finance une part, dans une logique non pas de cadeau, mais de partenariat pour une transition écologique difficile.
Faut-il tout conditionner à l’emploi ?
Alors, pourquoi le scandale ? Parce qu’on confond les objectifs. On reproche à l’État de ne pas avoir conditionné cette aide à un maintien de l’emploi. Ce serait juste… si l’on ne visait pas en même temps une transformation industrielle profonde. Or on ne décarbone pas un haut-fourneau sans changer les méthodes, les flux, les compétences – et donc les emplois. Demander à la fois une industrie plus verte et le maintien intégral des postes existants revient parfois à vouloir le beurre et l’argent du beurre. Et à laisser filer les projets ailleurs.
Une concurrence mondiale qui impose sa loi
Car il faut le dire aussi : dans un monde où les normes climatiques et les coûts sociaux sont inégalement répartis, les entreprises mondialisées ont un pouvoir de chantage réel. Elles peuvent produire ailleurs, avec plus d’émissions, moins de contraintes, et souvent moins d’emplois qualifiés. Si l’on veut qu’elles investissent ici, sur notre sol, selon nos règles, alors il faut parfois les aider. C’est un fait, pas un choix idéologique.
Une transition industrielle qui crée aussi de l’activité
Ajoutons que ce type d’investissement n’est pas un gouffre à fonds publics. Il crée de l’activité, des chantiers, des besoins en ingénierie, en services, en nouvelles compétences. Il engage la France dans la sidérurgie du futur, et non dans une désindustrialisation maquillée en écologie vertueuse.
Les salariés ne sont pas laissés seuls
Enfin, ne faisons pas comme si les salariés licenciés étaient abandonnés. Le système français prévoit des protections solides : le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) offre un accompagnement personnalisé, un maintien élevé des revenus, des formations, un reclassement. Ce n’est pas parfait, mais c’est loin d’être négligeable.
Pour un débat adulte sur la transition
Ce que cette affaire révèle surtout, c’est l’incapacité collective à penser la complexité. Nous avons besoin de débats publics qui ne se contentent pas de slogans ou d’émotions, mais qui confrontent les réalités industrielles, climatiques, sociales. Car sans lucidité, nous ne pourrons jamais décider en conscience.