« Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. » (Proverbe boursier)
Peut-on encore parler de valeur dans un monde financier dominé par la spéculation, les récits séduisants et les bulles médiatiques ? Voilà une question que je me suis posée en regardant la valorisation actuelle de certaines entreprises technologiques.
Prenons un exemple simple : Tesla. Si je voulais racheter cette entreprise à sa valeur boursière (plus de 700 milliards de dollars), et que je comptais uniquement sur ses bénéfices actuels pour récupérer ma mise, il me faudrait… 104 ans. Une vie et demie. Ce calcul naïf, fondé sur le ratio ‘prix sur bénéfice’ (PER), n’est pourtant pas idiot. Il repose sur une logique élémentaire : combien d’années d’activité faut-il pour rembourser ce que j’ai payé ?
Mais aujourd’hui, cette logique semble ringarde. On préfère acheter du rêve, de la croissance future, des promesses de domination planétaire — quitte à fermer les yeux sur la rentabilité réelle. Ce comportement n’est pas nouveau. Il a un précédent retentissant : la bulle Internet.
La bulle Internet : un précédent éclairant
Dans les années 1990, l’arrivée du Web suscite une euphorie inédite. Des entreprises sans chiffre d’affaires, sans modèle économique viable, mais avec un nom en “.com”, lèvent des millions. Le Nasdaq explose. On valorise tout sur la base de visiteurs, de “clics”, de croissance potentielle. Personne ne regarde les bénéfices — il n’y en a pas. En mars 2000, tout s’effondre. 78 % de pertes. Des milliers de start-up disparaissent. Seules quelques-unes survivent : Amazon, eBay, puis Google.
Aujourd’hui : bénéfices réels mais valorisations démesurées
Aujourd’hui, la technologie n’est plus une promesse vague : elle produit des bénéfices massifs. Nvidia, Meta, Amazon gagnent des dizaines de milliards. Mais les valorisations restent extravagantes. Le moindre acteur de l’IA ou de la tech attire des investissements hors de toute logique de retour à court terme. On parle encore de révolution, de disruption, de ‘changement de paradigme’ — et on recommence à oublier les fondamentaux.
Des chiffres qui parlent : comparaison de grandes entreprises

Dividendes : le véritable retour sur investissement
Trop souvent, l’analyse boursière oublie que pour un actionnaire, la vraie mesure de la rentabilité d’un investissement, ce n’est pas le bénéfice net, mais le revenu réellement perçu : le dividende. Lorsqu’une entreprise ne verse pas de dividende ou en distribue peu, le retour sur investissement repose uniquement sur l’espoir qu’un acheteur futur acceptera de payer encore plus cher l’action. Ce type de valorisation est donc fondamentalement spéculatif.
1. Dividendes et retour sur investissement
Prenons deux investisseurs : l’un achète une entreprise à 500 milliards de dollars de capitalisation qui verse 0 % de dividendes, l’autre investit dans une entreprise à 100 milliards qui reverse 4 % par an. Le second perçoit immédiatement un retour concret, alors que le premier doit espérer un scénario de revente plus favorable — sans aucune garantie. Or, plusieurs géants de la tech — Meta, Amazon, Alphabet — ont longtemps opéré sans verser de dividende, ou n’en versent qu’une infime partie aujourd’hui.
2. Ratio Capitalisation / Dividende annuel
Une manière simple d’évaluer le temps de retour d’un investissement via les dividendes est de calculer le ratio :
Capitalisation boursière ÷ Dividende annuel
Ce ratio exprime en combien d’années les dividendes cumulés permettraient de récupérer la mise de départ, toutes choses égales par ailleurs. Pour une entreprise comme LVMH, cela peut représenter 20 à 25 ans. Pour Apple ou Meta, cela peut dépasser 100 ans — ou tendre vers l’infini si les dividendes sont inexistants.
3. Contraste avec les valeurs de rendement
Certaines entreprises industrielles ou financières, moins médiatisées que les géants de la tech, versent régulièrement des dividendes à leurs actionnaires, avec des rendements de 3 à 6 % par an. Ces sociétés — comme TotalEnergies, Sanofi, LVMH ou même certaines banques — offrent une logique d’investissement plus classique : on mise sur des revenus stables, plus que sur une plus-value hypothétique. Ce contraste révèle deux philosophies: celle du capitalisme spéculatif, fondé sur le récit, et celle du capitalisme de rendement, fondé sur le flux.
Conclusion : croire ou comprendre ?
Ces données montrent que, bien que certaines entreprises technologiques affichent des marges bénéficiaires élevées, leurs valorisations boursières (PER) peuvent être considérées comme excessives par rapport à leurs bénéfices actuels. En revanche, des entreprises industrielles traditionnelles présentent des valorisations plus modérées, malgré des marges bénéficiaires solides.
Il ne s’agit pas d’être contre le progrès. Il s’agit de rester lucide, de ne pas confondre promesse et performance, ni storytelling et vérité comptable. L’intelligence critique, aujourd’hui, c’est aussi cela : ne pas croire que les arbres — fussent-ils numériques — montent jusqu’au ciel.