Capacité iranienne de production d’uranium enrichi à 90 %

Le Monde avec AFP

Publié le 31 mai 2025 à 14h01, modifié le 31 mai 2025

L’Iran a accéléré le rythme de production de ses réserves d’uranium enrichi à 60 %, seuil proche des 90 % nécessaires pour fabriquer une arme nucléaire, selon un rapport confidentiel de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) consulté par l’Agence France-Presse (AFP), samedi 31 mai. Le total s’élevait à 408,6 kilos à la date du 17 mai, soit une augmentation de 133,8 kilos sur les trois mois passés, en comparaison de la hausse de 92 kilos sur la période précédente.

franceinfo – France Télévisions – Publié le 13/06/2025 18:21

Téhéran dispose déjà d’un stock total d’uranium enrichi de 9247,6 kg, selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique, rendu public mi-mai. C’est 45 fois la limite autorisée par l’accord de Vienne..

Surtout, parmi ces réserves de matière enrichie, 408,6 kg l’étaient à 60%. Inquiétant, car le seuil nécessaire pour fabriquer une bombe atomique est de 90%. Inquiétant, aussi, car le passage de 60 à 90% se fait beaucoup plus rapidement que celui de 30 à 60%, confirme le chercheur Benjamin Hautecouverture. « Le palier le plus complexe est celui des 20%, explique le spécialiste. En outre, l’uranium n’a pas à être enrichi à 90% pour être fissile. Il l’est dès 80%, voire moins. »

Ce document présente une estimation réaliste de la capacité de l’Iran à enrichir de l’uranium de 60 % à 90 % à partir de ses deux sites clés : Fordow et Natanz. Il inclut les paramètres techniques, les rendements théoriques, et les implications géostratégiques. Une annexe reprend les éléments de droit international sur la non-prolifération.

1. Sites d’enrichissement et capacités installées

Les deux sites principaux sont :
– Fordow : ~3000 centrifugeuses IR-1 et IR-6, capacité estimée 5000–7000 SWU/an.
– Natanz : >12 000 centrifugeuses IR-1 à IR-6, capacité estimée 12 000–20 000 SWU/an.

2. Stock actuel et potentiel de conversion

Données de départ :
– Uranium enrichi à 60 % disponible : 450 kg.
– Enrichissement requis pour atteindre 90 % : ~5 SWU/kg.
– Total SWU requis pour convertir 450 kg : ~2250 SWU.
– Uranium à 90 % obtenu : ~250kg, suffisant pour ~10 armes nucléaires compactes.

3. Temps nécessaire pour conversion totale

Scénarios :
– Fordow seul : ~500 SWU/mois → ~4,5 mois pour traiter 450 kg.
– Natanz seul : ~1500 SWU/mois → ~1,5 mois.
– Fordow + Natanz : ~2000 SWU/mois → ~1,125 mois.

4. Implications stratégiques

L’Iran possède un stock suffisant et une infrastructure qui lui permettrait, en cas de décision politique, de produire de l’uranium de qualité militaire en moins de 2 mois. La conversion rapide et discrète est techniquement possible et représenterait une rupture du TNP (Traité sur la non-prolifération).

Annexe : Droit international et seuils de prolifération

– Le Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) interdit aux États non dotés de l’arme nucléaire de produire ou acquérir des armes.
– Le seuil critique de 90 % d’enrichissement est considéré comme « weapons-grade ».
– L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) surveille les installations déclarées mais ne peut détecter un enrichissement accéléré qu’avec un certain délai.
– Une production rapide à partir d’un stock à 60 % est considérée comme une « capacité de breakout » (rupture vers l’arme).

Peut-on affirmer que l’Iran mettrait 4 ans à atteindre 90 % d’uranium enrichi ?

Certains responsables politiques français, comme Manuel Bompard (coordinateur de LFI), ont affirmé récemment qu’une attaque préventive contre les installations iraniennes serait infondée, au motif que l’Iran mettrait « au moins quatre ans » à atteindre le seuil de 90 % d’enrichissement, selon lui corroboré par la CIA. Une telle affirmation est à la fois scientifiquement erronée et politiquement irresponsable.

Les faits techniques sont clairs : l’Iran dispose déjà, selon l’AIEA, d’environ 450 kg d’uranium enrichi à 60 %. Il s’agit d’un niveau extrêmement avancé, à la frontière du seuil militaire. Le passage de 60 % à 90 % nécessite environ 4 à 5 unités de travail de séparation (SWU) par kilogramme, soit environ 2250 SWU pour l’ensemble du stock.

Les deux sites nucléaires iraniens connus (Fordow et Natanz), équipés de milliers de centrifugeuses IR-1 à IR-6, disposent d’une capacité combinée dépassant les 15 000 SWU par an. Si ces installations étaient redéployées à 100 % pour atteindre 90 %, l’Iran pourrait produire plusieurs dizaines de kilogrammes d’uranium à 90 % en deux à trois mois maximum – pas en quatre ans.

La CIA et d’autres agences de renseignement ne nient pas cette capacité technique ; elles affirment seulement qu’aucune décision politique définitive n’a été détectée. Mais confondre absence d’intention déclarée avec incapacité technique est une erreur grave.

Sur des sujets aussi sensibles que la prolifération nucléaire, il est impératif que les responsables politiques s’appuient sur des données scientifiques vérifiables. Une posture idéologique ne saurait tenir lieu d’analyse stratégique sérieuse.