La dette publique est calculée comme l’accumulation des déficits budgétaires successifs. Mais cette vision strictement comptable ignore une réalité économique cruciale : toutes les dépenses n’ont pas le même effet sur l’avenir.
1. L’enseignement et la santé : des « charges » ?
En comptabilité nationale, les dépenses d’éducation, de formation et de santé sont traitées comme des dépenses de fonctionnement, non amortissables.
Pourtant, ces postes :
- forment la population active de demain,
- maintiennent la productivité,
- réduisent à long terme les dépenses sociales.
C’est l’équivalent d’un investissement dans le capital humain, mais qui ne figure pas comme tel.
2. La R&D publique : un investissement invisible
Alors que les entreprises amortissent leurs investissements en R&D dans leurs bilans, l’État, lui, ne peut comptabiliser la recherche publique (universitaire, CNRS, CEA…) comme un actif.
Résultat :
- Une distorsion comptable entre public et privé ;
- Une incitation politique à couper dans la R&D, car cela « réduit le déficit ».
C’est l’un des paradoxes les plus absurdes d’une politique budgétaire à courte vue.
3. Les aides aux entreprises : double peine budgétaire
Les aides publiques (crédits d’impôt, subventions, allègements de charges…) posent un triple problème :
- Elles gonflent les dépenses de l’État (PLF) ;
- Elles réduisent les recettes fiscales (via CICE, CIR, exonérations) ;
- Elles peuvent impacter le PLFSS, en réduisant les cotisations sociales (donc les ressources de la Sécu).
Effet pervers : ces aides creusent la dette sans contrepartie immédiate visible, tout en affaiblissant d’autres budgets sociaux.
4. Une comptabilité aveugle à la valeur créée
La dette publique n’intègre ni la nature de la dépense, ni son rendement futur.
– Investir 1 Md€ dans une école ou dans une niche fiscale a le même effet sur le déficit,
– Mais pas le même effet sur l’avenir du pays.
Conclusion
« Ce que l’entreprise valorise comme actif stratégique, l’État le classe comme charge. » — Un paradoxe budgétaire lourd de conséquences
Il devient urgent de :
- Repenser la comptabilité publique, en valorisant les investissements intangibles
- Conditionner les aides aux entreprises à des retours mesurables (emploi, innovation, relocalisation) ;
- Cesser d’assimiler toute dépense à du gaspillage, en oubliant leur potentiel d’utilité collective.
Les entreprises et l’État : un investissement bien plus qu’un prélèvement
On présente souvent les impôts sur les sociétés comme un coût, une charge de compétitivité, ou une ponction sur la valeur ajoutée. Mais on oublie qu’une grande part de ce que finance l’État constitue en réalité un avantage concurrentiel indirect mais massif pour les entreprises elles-mêmes.
1. Un vivier de main-d’œuvre formée… et subventionnée
L’enseignement public gratuit ou quasi gratuit forme les futurs salariés. L’entreprise bénéficie de cette formation sans en supporter les coûts directs (salaires, locaux, enseignants, programmes).
Même si une formation complémentaire est parfois nécessaire, elle est :
– Partiellement financée par l’État ou les régions,
– Et adaptée par des dispositifs publics (CIF, CPF, aides à l’embauche…).
L’impôt devient alors une sorte de cotisation indirecte au capital humain commun.
2. Des effets systémiques bénéfiques pour l’entreprise
Les entreprises bénéficient, comme tous les acteurs, de la soutenabilité du modèle social :
– Allongement de la durée de vie en bonne santé, grâce au système de santé public ;
– Moins d’absentéisme lié aux maladies chroniques ou non prises en charge ;
– Services périphériques utiles à leurs salariés : crèches publiques, bénévolat, éducation, sécurité, justice, infrastructures…
Une entreprise est d’autant plus performante que la société autour d’elle fonctionne bien
.
3. Un impôt souvent perçu comme coût… mais assimilable à un investissement
Il est paradoxal que l’entreprise valorise ses dépenses en formation, en RH ou en infrastructures internes comme investissements, mais considère l’impôt comme un prélèvement stérile, alors qu’il soutient ces mêmes fonctions à l’échelle collective.
Conclusion à méditer
« L’entreprise moderne est le fruit d’un écosystème social invisible qu’elle n’a pas bâti, mais dont elle tire profit. » — Synthèse
Les entreprises ne sont pas de simples « contributeurs nets ». Elles sont aussi des co-bénéficiaires systémiques du service public, tout comme les citoyens. Il est donc légitime de questionner la logique de certaines exonérations fiscales ou aides qui se cumulent avec des infrastructures sociales qu’elles utilisent au quotidien, sans les valoriser.