Ce que l’Amérique doit à l’Europe : Oppenheimer, Szilard, et l’oubli d’une mémoire partagée

Introduction

Le 8 mai marque en Europe la fin de la guerre, la libération du continent et la défaite du nazisme. Mais pour les États-Unis, cette date est moins centrale. Leur guerre s’achève avec le Japon, le 2 septembre. Cette divergence mémorielle prend une tournure politique inquiétante lorsqu’un président américain comme Donald Trump tourne en dérision nos célébrations du 8 mai. Ce mépris révèle un oubli profond : la victoire américaine doit beaucoup à l’Europe — à ses intellectuels exilés, à ses savants réfugiés, à sa mémoire.

Une contribution européenne décisive

Le projet Manhattan n’est pas une épopée purement américaine. Il est nourri par les intelligences venues d’Europe, souvent chassées par la barbarie nazie. Léo Szilard, Enrico Fermi, Hans Bethe, Niels Bohr, Edward Teller, Eugene Wigner, Victor Weisskopf… Tous ont fui les régimes totalitaires. Sans eux, les États-Unis auraient mis des années à maîtriser la réaction nucléaire. Le savoir européen a permis de raccourcir la guerre — et d’en finir avec l’empire japonais.

Le paradoxe Einstein-Szilard

Ni Einstein ni Szilard ne voulaient de la bombe comme arme. Ils l’ont redoutée, provoquée par crainte de Hitler, mais combattue ensuite. Einstein, marginalisé, n’a pas participé au projet Manhattan. Szilard, quant à lui, s’est opposé à son usage dès 1945. Ces figures sont absentes de nombreuses biographies d’Oppenheimer, car elles incarnent une opposition morale trop forte à intégrer dans un récit héroïque.

L’ingratitude contemporaine

Les propos de Trump illustrent une vision faussée de l’histoire. Oublier que les États-Unis doivent en partie leur puissance à l’exil européen, c’est renier leur propre passé. C’est insulter ceux qui ont fui la tyrannie pour offrir leur savoir à la démocratie. Le mépris envers l’Europe est d’autant plus injuste qu’il efface la dette intellectuelle et morale contractée pendant la guerre.

Conclusion

Il ne s’agit pas de rejouer les débats du passé, mais de rappeler que l’histoire est une œuvre collective. La liberté se construit à plusieurs. Les scientifiques européens ont permis une victoire rapide et une suprématie technologique. Ils méritent reconnaissance, pas oubli. À l’heure des replis nationalistes, il est vital de défendre cette mémoire partagée — faite de science, d’exil, de conscience, et d’humanité.