Par-delà les postures, que reste-t-il du discours de Natacha Polony sur l’immigration ? Loin d’un appel clair à la solidarité ou d’un programme rationnel, ce que l’on entend est une rhétorique faussement équilibrée, où la compassion devient prétexte à justifier l’inaction ou la fermeture. Sous couvert de “prendre les problèmes à la racine”, elle instille une vision du monde où la défense de l’identité nationale prévaut sur le devoir d’hospitalité – sans jamais oser dire franchement qu’elle souhaite fermer les frontières.

1. « Prendre le problème à la racine » : une formule vide de sens
Quelles sont ces racines de l’immigration ? S’il s’agit du fossé abyssal entre les conditions de vie dans les pays du Sud et l’Europe, alors que propose-t-on ? Une reconquête économique mondiale ? Une réforme du commerce international ? Un effacement des dettes africaines ? Rien de tout cela n’est sérieusement évoqué. Dire « qu’il faut agir à la racine » revient à déplacer le problème hors de notre champ d’action immédiat, et donc à ne rien faire.
2. Une solidarité de façade
Le ton compatissant envers les migrants est une fausse concession morale. Il s’agit de compatir pour mieux se justifier de ne pas accueillir. L’argument est toujours le même : “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde” — comme si le monde entier voulait vivre en France. Comme si le simple fait d’accueillir décemment 200 000 personnes par an (moins de 0,3 % de la population) représentait une menace existentielle.
3. Une logique de bouc émissaire savamment distillée
Le discours souverainiste, tel qu’incarné par Polony, construit une fiction : celle d’une classe moyenne française flouée par les élites mondialisées et trahie par une immigration de masse qui diluerait son identité. Mais cette identité, qu’est-elle ? Quel est ce contenu “menacé” ? Une langue ? Une histoire ? Une culture ? Et en quoi une femme venue d’Érythrée, un médecin syrien ou un ouvrier guinéen qui vit en France viendrait-il la détruire ?
La vérité, c’est que ces discours identitaires fabriquent une peur là où il n’y avait qu’ignorance, et plantent les germes d’un ressentiment artificiel dans une population moyenne et populaire déjà fragilisée par la mondialisation et la stagnation sociale.
4. Pas de responsabilité, pas de solution
Polony n’est ni ministre ni députée. Elle n’est responsable de rien, ce qui lui permet de parler fort sans avoir à résoudre. C’est un travers bien connu de l’éditocratie contemporaine : dénoncer sans construire. Si la solution n’est ni l’ouverture totale (ce que personne ne propose sérieusement), ni la fermeture brutale (impossible humainement, économiquement et juridiquement), alors où est-elle ? Certainement pas dans les colonnes d’un éditorial de Marianne ou dans les interventions sur CNews.
Conclusion : un écran de fumée idéologique
Les propos de Polony, comme ceux de tant d’autres « intellectuels médiatiques », entretiennent l’illusion d’un débat, sans jamais risquer la cohérence politique. Ils rassurent les peurs, caressent les identités blessées dans le sens du poil, mais n’ouvrent aucune issue. En ce sens, ils sont plus dangereux que les outrances d’un Zemmour : ils habillent l’inaction et le repli d’une légitimité intellectuelle.
Dérives américaines, complaisances françaises : ce que l’éthique exige
Lorsque des personnalités françaises en viennent à exprimer leur compréhension – voire leur approbation implicite – des méthodes brutales employées par Donald Trump contre les immigrés à Los Angeles, il ne s’agit plus d’un simple débat politique. C’est une alerte morale.
Qu’on débatte des limites ou des modalités de l’immigration est légitime. Qu’on invoque la souveraineté nationale ou la maîtrise des flux migratoires peut s’inscrire dans un cadre républicain. Mais que l’on cautionne, même à demi-mot, des pratiques d’humiliation publique, de brutalité policière ou de rhétorique xénophobe, cela dépasse les bornes de la raison et trahit un effondrement de la conscience éthique.
Ce n’est pas la fermeté qui est en cause, mais la perte de repères. Ce que Trump met en scène, ce n’est pas une politique migratoire : c’est une guerre symbolique contre les plus faibles, destinée à flatter les instincts les plus sombres d’un électorat captif.
Et lorsque certains intellectuels français se taisent, relativisent, ou trouvent des raisons à cette violence, ils deviennent complices. Car ce que l’on accepte ailleurs finit toujours par s’inviter ici.
L’éthique de la parole publique exige que l’on nomme les choses avec clarté. Approuver l’inacceptable, ce n’est pas défendre la nation. C’est renoncer à son âme républicaine.