« La conviction selon laquelle ce qui est bon pour les grandes entreprises est bon pour la société est la plus grande illusion moderne. »
— John Kenneth Galbraith, *The New Industrial State*
« Quand ceux qui profitent le plus du système en deviennent les moins redevables, la démocratie chancelle. »
— Joseph E. Stiglitz
Une subvention sans contrat
Ce que l’on nomme « crédit d’impôt » n’est pas un prêt ni une réduction conditionnelle : c’est une créance sur l’État, donc sur la collectivité. Et pourtant, elle n’est assortie d’aucune obligation formelle, ni en matière d’objectifs mesurables (embauches, production, innovation), ni de contreparties économiques ou sociales (territoriales, environnementales, fiscales).
Le dividende avant le bien commun
Certains groupes cotés reçoivent plusieurs centaines de millions d’euros d’allègements ou de crédits d’impôt… puis redistribuent des milliards d’euros à leurs actionnaires. Le crédit d’impôt devient alors un outil de soutien indirect au capital financier, sans aucune redevabilité.
Ce que l’on exige d’un chômeur (justifier, se former, prouver sa bonne volonté), on ne l’exige jamais d’un actionnaire.
Une triple distorsion démocratique
1. Distorsion fiscale : une entreprise aidée peut contribuer moins au financement public qu’une PME ou qu’un particulier.
2. Distorsion morale : la solidarité est inconditionnelle pour les puissants, conditionnée pour les vulnérables.
3. Distorsion structurelle : ces aides créent une croissance fictive, court-termiste, fondée sur la rente et non sur le progrès réel.
Il y a là matière à révolte intellectuelle, sinon citoyenne. Un État peut — et doit — aider ses entreprises. Mais il ne peut pas subventionner sans exigence, ni transférer des fonds publics au capital privé sans contrôle ni retour.
Pour un crédit d’impôt éthique et responsable
La réforme du crédit d’impôt ne suppose pas sa suppression. Elle suppose une transformation éthique de sa gouvernance.
Actuellement, les crédits d’impôt sont activés de manière purement administrative, sans décision stratégique, sans obligation, sans contrepartie.
Voici une proposition simple et équitable :
1. Toute demande ou activation de crédit d’impôt devrait faire l’objet d’une validation explicite en conseil d’administration, avec justification de son usage (embauche, innovation, transition, etc.) et traçabilité.
2. Les crédits d’impôt obtenus devraient être **déduits** du montant des bénéfices distribuables et réaffectés **obligatoirement** à la force productive (emploi, formation) ou à la recherche et développement.
3. Un fonds de contrepartie interne pourrait être institué dans chaque entreprise bénéficiaire, avec un suivi public annuel.
Cette approche ne punit pas : elle responsabilise. Elle réintroduit un lien entre argent public et bien commun.
Car l’argent public ne doit jamais rémunérer la rente privée sans obligation.