On parle souvent de décarbonation en pensant d’abord aux voitures, aux avions ou aux centrales électriques. Mais le pétrole ne sert pas seulement à faire rouler les moteurs. Il constitue la base de notre chimie moderne, et donc, d’une part gigantesque de notre monde matériel. Le remplacer suppose bien plus que la seule transition énergétique : c’est une refonte industrielle totale, dont l’ampleur est encore largement sous-estimée.
- Arbre des produits issus du pétrole brut
- Raffinage primaire —> combustibles
| Fraction | Utilisation principale |
| Gaz (méthane, propane, butane) | Chauffage, cuisine, gaz naturel, GPL |
| Naphta | Matière première pétrochimie |
| Kérosène | Carburant avion |
| Gazole | Diesel, chauffage |
| Résidus lourds | Bitume, fuel lourd, coke de pétrole |
- Pétrochimie —> monomères / précurseurs chimiques
À partir du naphta, on procède à un vapor cracking (craquage à haute température) qui produit :- Éthylène (C₂H₄) → polyéthylène (PE), PVC, éthanol synthétique, etc.
- Propylène (C₃H₆) → polypropylène (PP), acrylonitrile, isopropanol, etc.
- Butadiène (C₄H₆) → caoutchouc synthétique (SBR, NBR)
- Benzène, toluène, xylène (BTX) → solvants, polystyrène, nylon, polyesters
- Méthanol (souvent à partir de gaz naturel mais parfois pétrole) → MTBE, formaldéhyde, etc.
- Chimie de spécialité —> polymères, résines, additifs, solvants, etc.
| Monomère / base | Produit final | Applications |
| Éthylène | Polyéthylène (PE) | Sacs, films, tuyaux |
| Propylène | Polypropylène (PP) | Bouchons, boîtiers, fibres |
| Benzène | Polystyrène (PS) | Emballages, isolation |
| Toluène, xylène | Polyuréthanes (PU) | Mousses, colles, peintures |
| Éthylène glycol | PET (polyester) | Bouteilles, textiles |
| Acrylonitrile | ABS, fibres | Carrosseries, jouets, électroménager |
| Butadiène | Caoutchouc synthétique | Pneus, joints |
| Isoprène | Caoutchouc, colles | Industrie, santé |
| Paraphénylène diamine | Kevlar, aramides | Gilets pare-balles |
| Solvants organiques | Acétone, MEK, etc. | Nettoyage, peinture |
- Produits issus du pétrole dans la vie quotidienne
- Emballages & contenants
- Sacs plastiques (PE)
- Bouteilles (PET)
- Barquettes alimentaires
- Films étirables
- Bouchons (PP)
- Vêtements et textiles
- Polyester, acrylique, élasthanne, nylon
- Polaires, maillots de bain
- Semelles de chaussures (PU)
- Habitat et construction
- Peintures, vernis, colles
- Isolants en polystyrène, mousses PU
- Revêtements de sol en vinyle ou PVC
- Mobilier et décoration
- Canapés, matelas (mousses PU)
- Meubles stratifiés
- Rideaux synthétiques
- Encres d’impression
- Transport
- Pneus (caoutchouc synthétique)
- Sièges, tableaux de bord (ABS, PU, PP)
- Lubrifiants, carburants
- Électronique et électroménager
- Boîtiers plastiques (ABS)
- Câbles isolés (PE, PVC)
- Circuits imprimés (époxy)
- Téléphones, TV, imprimantes
- Santé et hygiène
- Sacs médicaux, gants jetables (PVC, nitrile)
- Cosmétiques (paraffine, solvants)
- Flacons de médicaments
- Alimentation et agriculture
- Films agricoles
- Engrais issus du gaz
- Pesticides organiques
- Réservoirs, tuyaux d’irrigation
- Loisirs et sports
- Vêtements techniques (nylon, Gore-Tex)
- Ballons, skis, casques
- Jeux et jouets plastiques
- Pharmacie et chimie fine
- Aspirine, ibuprofène (issus BTX)
- Gélules, comprimés enrobés
- Solvants organiques
- Remplacer le pétrole : l’ampleur du défi
- Carburants: mobilité et énergie
- Alternatives : véhicules électriques, hydrogène, biocarburants
- Difficultés : métaux rares, production électrique verte, stockage énergétique
- Plastiques et polymères synthétiques
- Alternatives : biosourcés (PLA, cellulose), recyclage, matériaux naturels
- Difficultés : coût, performances techniques, filières industrielles à créer
- Textiles et fibres synthétiques
- Alternatives : fibres naturelles (lin, chanvre), fibres biosourcées
- Difficultés : pression sur les sols, procédés industriels
- Construction et habitat
- Alternatives : isolants naturels, peintures biosourcées
- Difficultés : disponibilité, coût, réglementation stricte
- Électronique et biens durables
- Alternatives : recyclage avancé, plastiques techniques recyclés
- Difficultés : exigences techniques, coût élevé, résines irremplaçables
- Santé, pharmacie, hygiène
- Alternatives : biosynthèse, plastiques médicaux biosourcés
- Difficultés : sécurité, réglementation, barrières techniques
- Agriculture et alimentation
- Alternatives : emballages compostables, pratiques régénératives
- Difficultés : coût, infrastructures, rendement agricole
La dépendance énergétique de la pétrochimie
Environ 85 à 87 % du pétrole brut mondial est utilisé comme source d’énergie directe (carburants, chauffage, électricité). Mais une partie non négligeable de cette énergie sert en réalité à transformer les 12 à 14 % restants du pétrole utilisés comme matière première. Cette interdépendance est souvent oubliée dans les débats sur la transition.
- Le vapor-cracking du naphta (pour produire éthylène, propylène, etc.) est très énergivore.
- Les synthèses chimiques nécessitent de la chaleur, souvent fournie par du gaz ou du fuel.
- Le transport et la logistique dépendent encore massivement des carburants fossiles.
Ainsi, la matière synthétique moderne est façonnée par l’énergie fossile. Elle ne pourra devenir réellement durable que si l’on remplace à la fois la matière première ET l’énergie utilisée dans sa transformation.
Formule synthétique :
« Le paradoxe est saisissant : alors que seulement 12 % du pétrole sert à faire des objets, la production de ces objets dépend profondément des 88 % restants, utilisés pour fournir l’énergie de leur transformation. Sans énergie fossile, la pétrochimie d’aujourd’hui ne tiendrait pas une semaine. »
Conclusion provisoire
La décarbonation ne se limite pas à l’abandon des carburants fossiles. Elle implique une révolution industrielle touchant toutes les couches matérielles de nos sociétés : textiles, médicaments, emballages, bâtiments, électronique. Aucune alternative ne peut aujourd’hui remplacer le pétrole sans coût, ni sans compromis. Il faudra investir massivement, transformer les chaînes de production, adopter la sobriété et encourager la recherche à grande échelle. Le « greenwashing » est peut-être une facilité, mais le véritable défi, lui, est d’une ampleur que peu mesurent réellement.