Deux poids, deux mesures : Israël, Ukraine et le cynisme occidental

Il est difficile de regarder l’actualité sans éprouver une forme de vertige moral. Ces 12 et 13 juin, de nouveaux échanges militaires ont eu lieu entre Israël et l’Iran, ajoutant un chapitre de plus à l’interminable chaîne de provocations, représailles, et escalades dont la population civile paie toujours le prix fort. Et pourtant, ce n’est pas tant la violence elle-même qui choque – hélas, nous y sommes presque habitués – que la manière dont elle est jugée, selon qu’elle touche l’un ou l’autre des alliés stratégiques de l’Occident.

Les États-Unis n’ont jamais rechigné à soutenir Israël, y compris dans des moments où ce dernier initiait des frappes militaires controversées, voire illégitimes au regard du droit international. Aide financière, soutien diplomatique, bouclier aux Nations Unies : Israël sait qu’il peut compter sur un appui solide, inconditionnel, quasiment automatique.

À l’inverse, l’Ukraine, pays souverain envahi sans provocation par la Russie en 2022, voit aujourd’hui s’étioler le soutien de ceux qui l’avaient promis « aussi longtemps qu’il le faudra ». On compte les dollars, on soupèse l’opinion publique, on parle de « guerre lointaine », de « bourbier inutile ». La Maison Blanche freine, le Congrès tergiverse, et en Europe, la lassitude gagne : « encore des armes ? encore de l’argent ? ».

Israël agressé, Ukraine abandonnée ?

Soyons clairs : nul ne peut tolérer que le Hamas, le Hezbollah ou le régime iranien poursuivent leur stratégie délirante d’éradication d’Israël. De la même manière, nul ne devrait tolérer qu’un État comme la Russie cherche à annexer par la force un pays voisin libre et démocratique. Pourtant, dans un cas, l’agression semble justifier des milliards de dollars et un soutien militaire massif. Dans l’autre, elle entraîne fatigue, recul et prudence.

Ce double standard interroge. Il n’est pas fondé sur des valeurs universelles, mais sur des intérêts, des proximités historiques, des équilibres électoraux. Israël est perçu comme une forteresse avancée de l’Occident au Moyen-Orient. L’Ukraine est une frontière trouble, entre « eux » et « nous », entre « Est » et « Ouest », entre OTAN et Russie. Cela suffit à expliquer pourquoi les morts ukrainiens pèsent moins que les roquettes sur Tel-Aviv dans les éditoriaux et les chancelleries.

Quelle image avons-nous de nous-mêmes ?

Comment osons-nous encore parler de démocratie, de droits de l’homme, de souveraineté des peuples, si ces principes ne tiennent qu’à un fil géopolitique ? Si la souffrance de certains peuples n’a de valeur que lorsqu’elle sert notre récit ? L’aide massive à Israël est compréhensible dès lors qu’il est menacé, mais elle devient problématique quand elle ne s’accompagne d’aucune exigence de proportion, ni de recherche sincère de paix. Le désengagement progressif envers l’Ukraine est tout aussi indigne : on ne défend pas la liberté à moitié.

Ce n’est pas la Realpolitik que je condamne ici – le monde est complexe – mais bien l’absence totale d’honnêteté sur ce qui la guide. Les dirigeants occidentaux feraient mieux d’admettre qu’ils agissent en fonction de leurs intérêts, et non de leurs principes, au lieu de brandir en permanence des drapeaux moraux devenus creux.

Et ceux qui veulent rayer un pays de la carte ?

Enfin, il faut dénoncer la misère intellectuelle – et morale – de ces régimes ou organisations qui, comme le Hamas, le Hezbollah, l’Iran ou la Russie, basent leur politique sur la négation de l’existence d’un autre peuple. Il n’y a pas de « raison historique » ou de « réparation coloniale » qui justifie l’appel à la disparition d’Israël. Pas plus qu’il n’y a de « réflexe impérial » qui excuse l’annexion de territoires ukrainiens.De telles idéologies sont non seulement moralement abjectes, mais elles révèlent une pauvreté humaine terrifiante. Comment peut-on encore, au XXIe siècle, vouloir construire un avenir en éradiquant celui des autres ?

L’hypocrisie stratégique à l’épreuve des faits

À travers les récents événements du mois de juin 2025, une hypocrisie stratégique majeure se dévoile. D’un côté, des entreprises européennes – notamment allemandes – ont permis depuis plusieurs années, directement ou via des réseaux d’intermédiaires, la livraison de matériaux et de technologies essentielles à l’enrichissement nucléaire iranien. Cela inclut les composants critiques des centrifugeuses. Cette complicité industrielle, bien que partiellement sanctionnée par les États-Unis, n’a donné lieu à aucune réaction institutionnelle ferme en Europe.

D’un autre côté, ces mêmes puissances occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis, affichent un soutien militaire à Israël lorsque celui-ci frappe l’Iran pour ralentir ou détruire les infrastructures nucléaires… qui ont été en partie rendues possibles par des technologies occidentales. Une boucle de la Realpolitik se ferme dans un vertige de contradictions.

Pire encore, dans cette guerre en Ukraine, les États-Unis freinent désormais leur aide militaire à Kyiv, évoquant les coûts et la lassitude de l’opinion publique. Mais ils n’hésitent pas à soutenir Israël dans une action militaire indirectement dirigée contre l’un des principaux alliés de Moscou : l’Iran. Autrement dit, on refuse de soutenir l’Ukraine directement attaquée par la Russie, mais on accepte de frapper un de ses soutiens dans une autre région du monde.

Cerise sur le gâteau stratégique : ce samedi 14 juin 2025, Vladimir Poutine a proposé de se poser en médiateur entre l’Iran et les États-Unis. C’est-à-dire que le principal agresseur militaire de l’Europe se rêve désormais en arbitre d’un conflit où les positions occidentales sont embourbées dans leur propre incohérence.

Si l’on voulait illustrer l’écart entre les discours de principes et les pratiques réelles, ce théâtre géopolitique en serait l’exemple parfait.