Le 9 juin 2024, le président Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, dans la foulée des élections européennes qui ont vu le Rassemblement national (RN) l’emporter avec plus de 31 % des voix, loin devant la majorité présidentielle. Cette décision fut aussitôt présentée comme une « prise de risque », voire une « fuite en avant » par nombre de commentateurs. Mais ce que ces mêmes commentateurs oublient – ou taisent – mérite aujourd’hui d’être rappelé.

Avant la dissolution : une majorité de Français favorables
Quelques jours avant le scrutin européen, un sondage CSA pour CNEWS (6 juin 2024) révélait que 52 % des Français étaient favorables à une dissolution de l’Assemblée en cas de défaite de la majorité présidentielle. Ce n’était pas une demande marginale, ni une lubie partisane : c’était un souhait largement exprimé, notamment par les électeurs du RN, mais aussi d’une partie des Républicains et des insoumis.
Plusieurs partis, d’ailleurs, avaient appelé à cette dissolution ou l’avaient laissée entendre comme logique politique en cas de désaveu électoral du président.
Après la dissolution : une soudaine « incompréhension »
À peine quelques jours plus tard, au cœur de la campagne pour les législatives anticipées, d’autres sondages (IFOP, OpinionWay) montraient une opinion radicalement inversée : 70 % des Français déclaraient ne pas comprendre la décision de dissolution.
Ce revirement brutal a été largement relayé par les médias… mais sans jamais rappeler les chiffres précédents, ni chercher à expliquer ce décalage, ni interroger leur propre rôle. À écouter certaines rédactions, Emmanuel Macron aurait pris seul une décision illisible, incompréhensible, presque irrationnelle – alors qu’elle correspondait précisément au vœu exprimé par une majorité de citoyens quelques jours plus tôt.
Une incohérence doublement troublante
Mais ce n’est pas tout. Les Français :
– expriment aujourd’hui massivement leur incompréhension face à une dissolution qu’ils appelaient pourtant de leurs vœux ;
– votent néanmoins en cohérence avec ce souhait, puisque le RN est arrivé en tête du premier tour des législatives de 2024… et que, selon les derniers sondages de juin 2025, il recueillerait encore 35 % d’intentions de vote.
Autrement dit : les électeurs valident dans les urnes la dynamique politique enclenchée par la dissolution, tout en affirmant qu’elle n’aurait jamais dû avoir lieu.
Et les journalistes, dans tout cela ?
Il serait peut-être temps que les journalistes cessent de traiter la parole publique comme une succession de clichés émotionnels, et retrouvent leur mission première : expliquer, contextualiser, interroger la mémoire collective. Or, aujourd’hui :
– Aucune pédagogie n’est faite sur les raisons politiques et constitutionnelles de la dissolution ;
– Aucun retour critique sur les appels préalables à dissoudre, venus de tous bords ;
– Aucune autocritique médiatique sur la manière dont l’opinion est façonnée… puis instrumentalisée contre le pouvoir en place.
Le Président a pris un risque politique majeur, dans l’esprit de la Ve République : celui de redonner la parole au peuple. Qu’on critique le choix, c’est légitime. Qu’on feigne d’en découvrir l’existence, un an après, relève d’une forme d’amnésie politique… bien commode.