Frérisme, influences religieuses et crise identitaire : la peur comme révélateur d’un vide ?

La société française traverse depuis plusieurs années une période de trouble profond, où les questions identitaires, religieuses et culturelles sont omniprésentes. Au cœur de ces débats, le terme « frérisme » revient régulièrement dans les discours politiques et médiatiques. Mais qu’en est-il vraiment de cette influence et comment se situe-t-elle par rapport aux autres mouvements religieux actifs en France ?

1. Le « frérisme » : entre influence réelle et fantasme politique

Le terme « frérisme » désigne l’influence idéologique, politique ou religieuse des Frères musulmans, mouvement fondé en Égypte dans les années 1920. En France, les services de renseignement (DGSI) estiment à environ 80 à 90 000 personnes les sympathisants ou fidèles gravitant autour de courants proches de cette mouvance.

Ce n’est pas un parti organisé, mais un ensemble de réseaux, souvent présents dans certaines associations cultuelles, éducatives ou caritatives. Leur influence est dénoncée par plusieurs responsables politiques (notamment depuis les lois sur le « séparatisme »), souvent en lien avec des critiques de l’islamisme politique, mais parfois sans distinction entre islam, islamisme, salafisme et frérisme.

2. Qu’en est-il des autres mouvements religieux d’influence ?

  • Catholiques conservateurs :
    Mouvement bien organisé autour de « La Manif pour tous », Sens Commun, Civitas, ou des communautés traditionalistes comme la Fraternité Saint-Pie X. Ils influencent activement les débats sur la bioéthique, la famille, ou la laïcité. Leur rhétorique est parfois proche de celle de l’extrême droite.
  • Milieux juifs orthodoxes :
    Discrets dans l’espace public, leur influence concerne surtout l’enseignement privé ou les écoles juives, sans stratégie politique globale. Le poids numérique est faible.
  • Évangéliques et néo-protestants :
    En forte croissance en banlieue et outre-mer, influencés par les courants américains, actifs sur les questions de mœurs, d’évangélisation, et de soutien à Israël.

3. Une obsession française : la « crise identitaire »

La France s’est construite sur l’effacement du religieux dans la sphère publique. Mais cette neutralité devient une identité rigide : toute affirmation communautaire est perçue comme une menace. Le discours sur la « crise identitaire » reflète un malaise profond : celui de ne plus savoir définir ce qu’est l’identité française.

Est-elle universaliste ? Chrétienne ? Républicaine ? Blanche ? Laïque ? Post-nationale ? Cette confusion alimente une peur irrationnelle de l’autre – surtout de l’islam – devenu le révélateur de toutes les anxiétés sociales et culturelles.

4. Une peur des autres, ou une peur de soi ?

Ceux qui dénoncent une menace identitaire ne donnent jamais de définition claire de l’identité française. La peur des musulmans, et en particulier du « frérisme », sert trop souvent de prétexte pour ne pas penser la France telle qu’elle est devenue : diverse, mondialisée, urbaine, métissée.

La nation sûre d’elle-même n’a pas besoin de désigner des ennemis de l’intérieur. La peur des autres est souvent le miroir d’un vide intérieur.

Réflexion finale : de Charlie Hebdo à la quête d’une identité humaine

L’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, marque une fracture dans la conscience collective française. Les dessinateurs et journalistes assassinés – Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et les autres – n’étaient pas seulement des caricaturistes irrévérencieux. Ils incarnaient une forme de liberté d’expression profondément ancrée dans une conception éthique et humaniste de la société.

Ils n’épargnaient aucune religion : islam, catholicisme, judaïsme, protestantisme… car ils refusaient l’idée qu’une société se fonde sur un dogme. Ce qu’ils défendaient, c’était une vision laïque, tolérante, fondée sur la responsabilité individuelle, la dérision libératrice, et la primauté d’une éthique humaine sur toute loi divine.

Cette approche dépassait l’identité française. Elle interrogeait la place de l’humain face à la mort, à la peur, au besoin de sens. Car au fond, les religions sont nées de cette angoisse de la finitude. Elles proposent un au-delà rassurant mais risquent de dérober le sens même de la vie présente.

Pourquoi faut-il des règles extérieures, venues d’un dieu ou d’un prophète, pour conduire nos actions ? Pourquoi ne pas assumer notre condition humaine avec ses limites, sa finitude, sa fragilité, mais aussi sa capacité de bonté, de création, d’autonomie ?

Ce n’est pas la religion qui crée l’éthique, mais bien l’humain qui, par la raison, l’expérience, la compassion, élabore des règles de vie. La véritable identité humaine ne se construit ni dans la peur de l’autre, ni dans la soumission à un dogme, mais dans le choix éclairé, libre et bienveillant de vivre ensemble.