Ce texte est une réflexion à chaud, nourrie par l’histoire, la philosophie et la mémoire des tragédies humaines. Il ne s’agit pas ici de prendre parti pour un camp contre un autre, mais de rappeler une exigence éthique : celle de ne jamais justifier l’injustifiable, même — et surtout — lorsqu’on a soi-même été victime. L’humanité ne se divise pas en tribus, mais se partage ou se perd.Le 6 mai 2025, le gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou, avec le soutien appuyé de deux de ses ministres d’extrême droite — Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir —, a engagé l’armée dans une offensive aux allures d’éradication : destruction des infrastructures de Gaza, expulsions massives, siège humanitaire total. Ce qui reste de la bande de Gaza, déjà dévastée, prend des allures de cimetière à ciel ouvert. L’analogie s’impose d’elle-même : Gaza est un ghetto. Ce mot, tragiquement lié à l’histoire juive, ne peut être utilisé à la légère. Et pourtant, il s’impose.
Le ghetto de Varsovie — ce quartier muré par les nazis pour y parquer les Juifs polonais avant leur extermination — n’était pas qu’un lieu : c’était une mécanique de déshumanisation. Ce qu’on y nie, ce n’est pas seulement la liberté, mais l’appartenance à l’humanité. Qu’un peuple ayant subi une telle négation puisse, à son tour, en imposer une autre à d’autres humains ne peut être expliqué seulement par la géopolitique. Il y a là un paradoxe historique, une faillite éthique. Et surtout une alerte.
Car la mémoire ne suffit pas à prévenir la répétition. Comme le disait le philosophe italien Primo Levi, rescapé d’Auschwitz :
« Cela s’est passé, donc cela peut se reproduire. »
L’histoire nous apprend que les peuples persécutés peuvent devenir, s’ils perdent leur conscience critique, les nouveaux persécuteurs. L’État d’Israël, né des cendres de l’extermination des Juifs d’Europe, fut fondé avec une promesse : « plus jamais ça ». Mais ce « plus jamais » n’a de sens que s’il s’applique à tous. Si l’on refuse aux autres la dignité qu’on réclame pour soi, on en trahit l’esprit.
Je suis athée, scientifique, humaniste. Et ce que je vois me révolte. L’intégrisme religieux, quelle que soit sa forme — juif, musulman, chrétien ou hindou —, me paraît être une des plus grandes perversions de l’esprit humain. Non pas la foi, mais la certitude. Celle qui tue, exclut, asservit au nom d’un Dieu dont chacun se prétend l’élu.
Les pogroms, les croisades, les djihads, les inquisitions, les génocides : tant de crimes ont été commis au nom du sacré. Montaigne écrivait :
« Il n’est rien de plus extrême que le jugement que chacun fait de sa propre foi. »
C’est ce fanatisme du « nous contre eux » qui revient toujours hanter l’Histoire.
Ceux qui cherchent aujourd’hui leur salut ou leur légitimité dans une identité ethnique, religieuse ou nationale nous ramènent aux idéologies les plus sombres. L’obsession identitaire, fétiche de l’extrême droite mais aussi piège pour les sociétés en crise, repose sur une illusion : qu’il existerait une essence supérieure à l’humanité elle-même. Mais il n’y a qu’une seule identité profonde et inaliénable : être humain.
Hannah Arendt, elle-même apatride, réfugiée, rescapée de l’exil nazi, écrivait :
« Le droit d’avoir des droits, c’est d’abord le droit d’appartenir à l’humanité. »
L’horreur de Gaza, comme celle d’hier à Alep ou demain ailleurs, n’est pas seulement une guerre. C’est une faillite morale. Une inversion de la mémoire. Une perversion de la justice. Ceux qui se réclament de la souffrance de leurs ancêtres tout en infligeant à d’autres ce qu’ils ont enduré perdent, ce faisant, leur propre humanité.
Je ne crois pas à une transcendance, mais je crois à la dignité. Je ne crois pas à une vérité révélée, mais à la raison partagée. Et je refuse l’idée que l’on puisse classer les morts selon leur religion, leur peuple ou leur camp.
Il n’y a pas de bons morts. Il n’y a que des humains assassinés.