1. Le mythe d’une autorité politique efficace
Depuis son entrée en scène, Donald Trump a bâti sa légitimité sur une posture de force : autoritaire dans le ton, brutal dans la forme, martial dans les symboles. Il incarne, pour une part de l’électorat, le mythe de l’homme qui “délivre” : celui qui dit ce que les autres n’osent pas dire, agit sans détour, et impose des résultats. Le slogan “America First” résonne comme un retour au pragmatisme, au réalisme, à la défense de l’intérêt national.
Mais cette autorité affichée masque une fragilité structurelle : en dehors des apparences, peu de résultats concrets lui sont directement imputables. Il gouverne à coups de tweets, de conflits, d’ennemis désignés. L’autorité devient spectacle. Or, comme le rappelait Hannah Arendt, l’autorité véritable est silencieuse, enracinée dans la légitimité rationnelle et durable — non dans le vacarme.
2. Le mythe d’une réussite économique nationale
Trump a prétendu corriger le déficit commercial des États-Unis grâce à des taxes douanières contre la Chine, l’Union européenne et d’autres partenaires. Résultat : le déficit a continué d’augmenter. Les droits de douane ont été payés par les importateurs américains, donc par les consommateurs américains. L’effet inflationniste s’est combiné à une instabilité des chaînes d’approvisionnement.
Il a aussi promis une réindustrialisation, mais les projets concrets n’ont pas suivi. L’usine Foxconn dans le Wisconsin, censée être un “miracle manufacturier”, s’est révélée être un mirage. Les seules implantations notables comme LVMH au Texas relèvent de stratégies commerciales indépendantes, et les grandes relocalisations sont dues au CHIPS Act de Biden en 2022.
3. Ce que disent les faits économiques
| Indicateur | Sous Trump (2017–2020) | Réalité |
| Croissance du PIB | Moyenne, comparable à Obama (2,5 %) | Pas de miracle économique |
| Chômage | Baisse jusqu’en 2019, puis explosion Covid | Tendances mondiales, reprise postérieure |
| Dette publique | + 7 800 milliards $ | Hausse record, sans plan d’investissement |
| Réduction des inégalités | Aucune | Baisse d’impôts favorable aux plus riches |
| Réindustrialisation | Échecs ou projets avortés | Aucune stratégie industrielle structurée |
| Défense budgétaire | Réduction du rôle fédéral + dépenses massives | Contradiction politique totale |
4. Pourquoi ça fonctionne quand même ?
La force de Trump réside dans la fabrication d’une illusion : celle de l’autorité incarnée, de l’Amérique protégée, du président qui agit, coûte que coûte.
Il utilise les outils classiques du populisme : désigner un ennemi (Chine, élites, migrants, médias, Europe), se poser en sauveur solitaire face au système, saturer l’espace médiatique de récits émotionnels et de récits de victoire, et, surtout, s’approprier les succès des autres.
L’usine de TSMC en Arizona, financée par le CHIPS Act de Biden, est désormais régulièrement citée par Trump comme son accomplissement. Ce tour de passe-passe rhétorique est la marque d’un discours post-vérité, où l’impression prévaut sur la démonstration.
Réflexion finale : comment un peuple peut-il être trompé à ce point ?
Le peuple américain — comme d’autres — n’est pas naïf par nature, mais vulnérable : aux peurs collectives (déclin, immigration, insécurité), à la fatigue démocratique, à la défiance envers les élites, à la saturation médiatique.
Quand les repères rationnels s’effacent derrière les récits émotionnels, la séduction du mensonge peut l’emporter sur l’analyse des faits.
Mais ce qui interroge davantage encore, c’est la complicité active d’une partie du Parti républicain. Nombre de ses membres savent que Trump ment, qu’il s’approprie ce qu’il n’a pas fait, qu’il menace l’équilibre institutionnel. Mais ils se taisent. Par peur. Par intérêt. Par calcul.
Ce silence — parfois grimé en loyauté — est une forme de corruption intellectuelle. Et, comme toute forme de corruption, il a un coût.
Un jour ou l’autre, ils devront répondre de cet aveuglement volontaire.