
« La survie d’un pays est dans les mains de personnages douteux – c’est vertigineux. »
Les frappes américaines et israéliennes contre les sites nucléaires iraniens de Natanz, Fordo et Ispahan ont été présentées comme un succès stratégique. Mais cette opération marque-t-elle vraiment un tournant ? En revenant sur les faits, les enjeux techniques et la géopolitique à double vitesse, cet article interroge la portée réelle de cette démonstration de force.
1. Cibles visées : que représentent Natanz, Fordo et Ispahan ?
Les trois sites frappés sont des piliers du programme nucléaire civil (et potentiellement militaire) iranien :
– Natanz est le principal site d’enrichissement avec des centrifugeuses IR-1 et IR-2m ;
– Fordo est un site souterrain conçu pour résister aux frappes, capable d’atteindre des taux d’enrichissement supérieurs à 60 % ;
– Ispahan abrite des installations de conversion d’uranium et de fabrication de combustible.
Selon le rapport de l’AIEA de mai 2025, l’Iran disposait encore de plus de 400 kg d’uranium enrichi à 60 %, soit une quantité théoriquement suffisante pour produire plusieurs armes en quelques semaines ([AIEA, 2025](https://www.iaea.org/newscenter/statements)).
2. L’illusion de la neutralisation totale
Il faut environ 25 kg d’uranium hautement enrichi (à 90 %) pour produire une bombe de type Hiroshima. Un cube de 20 cm suffit pour contenir une telle masse. Rien ne permet d’affirmer que l’Iran n’a pas déplacé tout ou partie de ses stocks dans des lieux non déclarés.
Comme le rappelle David Albright de l’ISIS : « Le principal risque n’est pas ce que nous voyons, mais ce que nous ne voyons pas. Les Iraniens savent comment cacher leur programme. » ([ISIS, 2024](https://isis-online.org/)).
3. Bombes sales : la menace parallèle
Même en l’absence de miniaturisation nucléaire, l’uranium peut être utilisé dans des bombes radiologiques (dites « sales »). Ces armes, bien que non nucléaires, peuvent semer la terreur par dispersion radioactive. Aucun bombardement ne peut en annuler la possibilité tant que le matériau subsiste.
4. Deux poids, deux mesures : Ukraine oubliée, Israël soutenu
Depuis ces frappes, la guerre en Ukraine semble avoir disparu des radars médiatiques. Pourtant, le conflit continue.
Les États-Unis ont investi plus de 175 milliards de dollars pour soutenir l’Ukraine depuis 2022, mais toujours sans frappes directes sur le sol russe. À l’inverse, Israël reçoit un soutien militaire immédiat et direct, y compris pour des opérations de frappe préventive contre un État souverain. Selon le Congressional Research Service, Israël a reçu plus de 3,3 milliards USD par an en aide militaire américaine depuis 2016 ([CRS, 2023](https://sgp.fas.org/crs/mideast/RL33222.pdf)).
Ce traitement différencié reflète une logique culturelle profonde. L’ennemi musulman est plus « présentable » à l’opinion publique que l’affrontement avec une puissance blanche et chrétienne comme la Russie. Cette asymétrie entretient un ressentiment durable dans le monde musulman, et alimente les thèses de la domination occidentale.
5. Conclusion : l’illusion de la dissuasion
Einstein, dans ses regrets après la Seconde Guerre mondiale, affirmait : « Had I known that the Germans would not succeed in producing an atomic bomb, I would have done nothing. »
Nous ne sommes pas maîtres des conséquences. Ces frappes sont une réponse spectaculaire, mais non une solution durable. La menace nucléaire ne disparaît pas. Le ressentiment grandit. Et la paix s’éloigne.
Sources citées
– AIEA, rapport trimestriel sur le programme nucléaire iranien (mai 2025) – http://www.iaea.org
– ISIS (Institute for Science and International Security), rapports techniques 2024 – http://www.isis-online.org
– Congressional Research Service, « U.S. Foreign Aid to Israel » (2023) – sgp.fas.org/crs/mideast/RL33222.pdf
– Edward Said, *Orientalism* (1978)
– Amin Maalouf, *Les identités meurtrières* (1998)