
Une victoire proclamée, mais pas prouvée
Comment oser penser que l’Iran n’a plus les capacités de passer de 60 à 90 % le niveau d’enrichissement même après les bombardements ? Voilà une question rarement posée sur les plateaux télévisés, tant l’ambiance médiatique actuelle est à l’euphorie stratégique.
Israël et les États-Unis plastronnent aujourd’hui en criant victoire, étalant leur supériorité technologique devant le monde. Pourtant, l’histoire nucléaire récente montre qu’on ne détruit pas une compétence scientifique avec des bombes :
– Les centrifugeuses peuvent être reconstruites.
– Le savoir ne s’efface pas avec l’assassinat de quelques physiciens.
– Les installations sont redondantes, souterraines, ou délocalisées.
Tout cela ressemble davantage à une opération de communication organisée qu’à une victoire stratégique durable.
La dissuasion n’est pas une affaire morale
L’argument selon lequel un régime démocratique est légitime à posséder l’arme nucléaire alors qu’un régime autoritaire ne le serait pas, n’a aucune base dans le droit international. Le besoin de sécurité est structurel, non moral. Il est partagé par toutes les nations.
Comme le soulignait Kenneth Waltz, un des grands penseurs réalistes de la géopolitique, la prolifération nucléaire peut même avoir un effet stabilisateur. Pourquoi un Iran pacifié, démocratique et respectueux des droits de l’homme n’aurait-il pas le droit d’assurer sa sécurité dans un environnement hostile, entouré de puissances nucléaires ?
L’humiliation d’un peuple est une erreur stratégique
Humilier un régime peut parfois être un objectif. Mais humilier un peuple entier, le priver de sa dignité, est une erreur historique.
– En Irak, les sanctions ont dévasté la société civile bien plus que le régime de Saddam Hussein.
– En Iran, la rhétorique militaire occidentale risque de renforcer le discours nationaliste des mollahs.
– Et dans les deux cas, les peuples, même opposés à leurs dirigeants, ne deviennent pas pour autant pro-occidentaux.
L’humiliation engendre souvent la radicalisation. La guerre en Irak, loin de libérer le pays, a contribué à la naissance de Daech. L’histoire nous a déjà montré que les bombes sèment rarement la démocratie.
Une communication de guerre bien orchestrée
Les frappes israélo-américaines sont présentées comme chirurgicales et décisives. Pourtant, aucun État moderne n’a jamais empêché un programme nucléaire par des frappes préventives. Ni en Corée du Nord, ni au Pakistan, ni en Inde.
La presse, notamment en France (LCI en tête), se fait souvent le relais d’un optimisme béat, sans distance critique, sans rappel des précédents historiques, sans interpellation sur les conséquences à long terme.
L’éthique proclamée des démocraties ne résiste pas à l’examen
Vous soulevez un point capital : celui des armes non conventionnelles. Il existe de fortes présomptions de développement ou de stockage d’armes chimiques et biologiques dans des pays pourtant signataires des grands traités internationaux. Ces activités se déroulent dans un secret absolu, souvent mieux gardé que dans les pays autoritaires.
– Les États-Unis ne sont pas signataires de certains traités sur les armes à fragmentation.
– Israël n’a pas signé le Traité de non-prolifération nucléaire.
– Des programmes obscurs ont été documentés ou suspectés dans plusieurs démocraties nucléaires.
La respectabilité juridique affichée par les signatures de traités ne vaut que ce qu’en font les États eux-mêmes. Elle repose sur la transparence et le respect des engagements — qui sont souvent partiels, sélectifs, ou purement symboliques.
Conclusion
Je ne suis pas seul à formuler ces doutes. Ils sont partagés par des chercheurs, des diplomates, des militaires — mais rarement entendus dans l’espace médiatique. La prudence n’est pas une faiblesse: c’est une exigence de lucidité.
« Une paix qui humilie n’est qu’une guerre différée. » — Parole apocryphe, mais plus vraie que jamais.