Israël, mémoire, religion et dépossession

Date de rédaction : 27 July 2025

Introduction

Il est tentant, dans l’observation contemporaine du conflit israélo-palestinien, de le réduire à une opposition religieuse entre juifs et musulmans. Pourtant, cette lecture masque une réalité plus ancienne, plus complexe, et plus enracinée dans les injustices du XXe siècle que dans les textes sacrés. L’État d’Israël n’est pas né d’un choc religieux, mais d’un transfert politique, géographique et moral d’une blessure européenne vers une terre habitée, sans que ses occupants d’alors ne soient consultés ni préparés à ce bouleversement.

Un État exogène né d’une blessure européenne

La création d’Israël en 1948 ne procède pas d’une dynamique interne à la région, mais d’une volonté externe. Des juifs d’Europe, porteurs d’un espoir national, rescapés des pogroms, de l’antisémitisme séculaire et de la Shoah, ont cherché à fonder un État où ils pourraient enfin exister en sécurité. Ce droit à l’existence, personne ne peut le leur contester. Mais ce droit a été imposé ailleurs, sur une terre déjà occupée par d’autres, qui n’avaient rien demandé. Cette transplantation d’un peuple exilé vers une terre mythifiée a été légitimée par l’ONU, mais non acceptée par ceux qui y vivaient.

Colonisation, migrations, et mémoire à géométrie variable

Il est vrai que bien d’autres pays sont nés de migrations massives. Le continent américain, du Nord au Sud, en est le témoin le plus évident : les États-Unis, le Canada, le Brésil ou l’Argentine sont des constructions sur les ruines de peuples autochtones éliminés ou marginalisés. Mais le temps a fait son œuvre. Les mémoires se sont estompées, les récits nationaux ont effacé les déchirements initiaux. L’État d’Israël, en revanche, est trop jeune pour que l’oubli ait pu s’installer. Il est encore au cœur des mémoires vivantes. Et surtout, il n’a jamais cessé d’être contesté.

De l’injustice à la croisade : la récupération religieuse

Ce qui était au départ une dépossession vécue comme une injustice politique a rapidement été récupéré par les mouvements islamistes. Les populations palestiniennes, confrontées à une occupation militaire, à des expropriations et à des humiliations répétées, sont devenues un terreau fertile pour les discours radicaux. Les penseurs stratégiques comme les fous de Dieu ont vu dans cette situation le prétexte idéal pour parler de guerre sainte. C’est ainsi que le conflit s’est transformé aux yeux du monde en une nouvelle croisade, là où il n’y avait au départ qu’un affrontement sur le droit à la terre et à la mémoire.

Conclusion : deux récits, deux blessures

Le drame du conflit israélo-palestinien tient en ceci : deux peuples portent un récit d’injustice irréconciliable. Les juifs israéliens vivent avec la mémoire d’un rejet mondial, d’un exil permanent, et d’une renaissance enfin accomplie. Les Palestiniens vivent avec la mémoire d’une terre perdue, d’un monde brisé, d’un avenir nié. Et chacun regarde l’autre comme une menace existentielle. Ce n’est pas une guerre de religions. C’est une guerre de récits, et de mémoires qui n’ont pas encore trouvé leur vérité commune.

La responsabilité européenne – ni oubli ni autoflagellation

Il est tentant pour l’Europe contemporaine de vouloir tourner la page. Mais elle le fait souvent avec une forme d’amnésie volontaire : celle qui fait oublier que la plupart des conflits extérieurs à l’Europe ont été initiés ou exacerbés par son avidité passée. De la colonisation de l’Afrique au démembrement de l’Inde, du soutien indirect aux coups d’État sud-américains à l’instrumentalisation des frontières au Moyen-Orient, l’empreinte européenne est partout. Le cas d’Israël n’échappe pas à cette logique : c’est bien une décision politique européenne, prise sans concertation avec les populations locales, qui a permis la création d’un État sur une terre déjà habitée.

Mais il ne s’agit pas ici de pratiquer l’autoflagellation. Il serait absurde et stérile de vouloir porter aujourd’hui la honte de nos ancêtres comme un fardeau infini. L’essentiel est ailleurs : dans la reconnaissance lucide de notre rôle, et dans l’adoption d’un comportement cohérent avec les principes que nous prétendons défendre. Comme tout individu, nous ne pouvons effacer nos fautes passées, mais nous pouvons – et devons – en tirer une leçon. Ce n’est pas de la pénitence, c’est de la responsabilité politique et morale.