Introduction
Le droit à l’appel est l’un des fondements de l’État de droit. Mais dans certaines situations, sa mise en œuvre automatique et non motivée devient un frein à l’efficacité démocratique. La question se pose avec acuité lorsqu’une décision judiciaire, pourtant grave et légitime, se retrouve neutralisée par un simple recours. Faut-il repenser le principe d’exécution provisoire dans certains cas ?
Le paradoxe judiciaire français
En France, le fonctionnement de la justice repose sur un principe apparemment protecteur : le droit à un double degré de juridiction. Autrement dit, nul ne peut être déclaré coupable, ou définitivement condamné, sans avoir pu faire appel. Ce principe est fondateur. Il est souvent présenté comme une garantie contre l’erreur judiciaire. Mais appliqué sans nuance, il peut se transformer en obstacle au bon fonctionnement de la démocratie.
Prenons le cas de l’exécution provisoire de peines d’inéligibilité. Une personnalité politique peut être reconnue coupable de faits graves (corruption, détournement de fonds publics, abus de confiance), et pourtant se présenter à une élection simplement parce que l’appel — même non motivé — suspend l’exécution de la peine. Cette situation peut, dans les faits, neutraliser le jugement de première instance, comme si la décision rendue n’avait plus de portée. Le juge a parlé, mais la société doit attendre. Et parfois, le condamné gagne du temps, accède à une fonction, puis l’utilise pour échapper aux suites judiciaires.
Il ne s’agit évidemment pas de défendre une inéligibilité à vie, qui nierait toute possibilité de rédemption — et irait à l’encontre de nos principes démocratiques, où seules les infractions les plus graves peuvent justifier des peines perpétuelles. Mais alors, à quoi sert une inéligibilité si elle couvre une période sans élection ? Une telle peine serait sans douleur, donc sans effet dissuasif.
La démocratie suppose une justice efficace
On oublie trop souvent que la démocratie n’est pas seulement une procédure électorale. Elle est aussi un ordre moral et politique, fondé sur la probité de ses représentants. Elle suppose que ceux qui prétendent exercer un pouvoir soient exemplaires, ou à tout le moins redevables de leurs actes devant la loi. Une justice qui hésite, qui attend l’issue de recours dilatoires avant d’agir, devient impuissante à protéger l’intégrité des institutions.
Il est temps d’inverser la logique. Non, l’appel ne doit pas suspendre automatiquement les effets d’une décision judiciaire. Une condamnation à l’inéligibilité, ou à d’autres peines non privatives de liberté, devrait être exécutoire de plein droit — sauf si elle modifie de manière radicale et irréversible les conditions de vie de la personne condamnée. Il est bien plus juste de prévoir des mécanismes d’ajustement (référé-suspension, contrôle de proportionnalité) que de bloquer tout effet au nom d’un principe abstrait.
Une réforme inspirée du droit civil
Ce modèle existe déjà dans le droit civil : une décision peut être exécutoire provisoirement, à moins qu’elle ne cause un préjudice manifestement excessif. Pourquoi ne pas appliquer cette sagesse juridique à la matière pénale, au moins pour les décisions qui engagent l’intérêt général ?
Protéger les droits fondamentaux, oui. Mais protéger aussi la démocratie contre ceux qui chercheraient à s’en emparer pour mieux la dévoyer. Une justice qui agit avec discernement et efficacité n’est pas une justice expéditive. C’est une justice lucide, au service du bien commun.Une justice lucide, au service du bien commun, n’est pas l’ennemie des libertés. Elle en est la condition. Il est temps de lui redonner les moyens d’agir pleinement, avec discernement et courage.