La Chine, miroir de nos excès : comment les démocraties ont armé la puissance qu’elles redoutent

La montée en puissance de la Chine ne relève pas d’un miracle économique ou d’un génie autoritaire. Elle est le résultat d’une série de choix collectifs faits par les démocraties occidentales. En croyant pouvoir exploiter la Chine comme simple atelier du monde, en sous-estimant son potentiel intellectuel et stratégique, nous avons forgé la force qui pourrait demain nous dominer. L’urgence est là : entre alliance sino-russe, désindustrialisation occidentale et sabotage interne par des populismes affaiblissants, la bascule du monde est engagée.

1. Le piège de l’arrogance

Dans les années 1980 et 1990, la Chine était vue comme une vaste réserve de main-d’œuvre bon marché. Son régime autoritaire semblait incompatible avec une véritable montée en puissance intellectuelle ou géopolitique.

Les démocraties occidentales, convaincues de leur supériorité structurelle, ont pensé que l’ouverture économique de la Chine entraînerait une transition naturelle vers un modèle libéral. Erreur stratégique majeure : le Parti communiste chinois (PCC) a intégré le capitalisme sans jamais céder sa souveraineté politique.

Notre foi dans le pouvoir de transformation du marché s’est avérée naïve : loin de démocratiser la Chine, nous avons légitimé un autoritarisme efficace et planificateur.

2. La délocalisation comme suicide industriel

Dans une course effrénée à la compétitivité et à la rentabilité immédiate, les grandes entreprises occidentales ont transféré des pans entiers de leurs chaînes de valeur vers la Chine.

Textile, électronique, puis produits à haute valeur ajoutée : rien n’a échappé à ce mouvement. Et les États, plutôt que de résister ou d’anticiper, ont accompagné voire encouragé ces flux.

Résultat : un affaiblissement massif de la base industrielle occidentale, une perte de compétences techniques, et une dépendance stratégique envers un pays non démocratique.

3. L’intelligence chinoise sous-estimée

Les élites occidentales ont longtemps pensé que la Chine produirait, mais ne penserait pas. Or, les investissements massifs dans l’enseignement supérieur, la recherche, l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs, les énergies nouvelles, ont rapidement changé la donne.

La Chine forme désormais plus d’ingénieurs, dépose plus de brevets et maîtrise nombre de technologies que l’Occident croyait pouvoir garder.

Elle ne se contente plus d’imiter : elle innove, perfectionne, puis impose ses standards, souvent grâce à une planification stratégique de long terme.

4. La complicité du consommateur occidental

Pendant que les gouvernements regardaient ailleurs, les consommateurs ont massivement soutenu cette dynamique : achat de produits toujours moins chers, produits en Chine, sans souci des conditions sociales ou écologiques.

Ce comportement collectif a alimenté un système où le court-termisme des marchés a rencontré le cynisme d’un régime autoritaire, sous les applaudissements d’une clientèle insouciante.

Résultat : la croissance chinoise, sa force financière et technologique, ont été financées par notre propre passivité et notre addiction à la facilité.

5. La menace géopolitique désormais tangible

La Chine n’est plus simplement une puissance commerciale. Elle construit un appareil militaire, une diplomatie active, des alliances stratégiques (avec la Russie notamment), et une ambition de domination techno-industrielle.

Trump, en affaiblissant les alliances occidentales et en fracturant la confiance dans les institutions démocratiques, a fait le jeu de Pékin. L’Europe, quant à elle, tarde à réagir, divisée et économiquement vulnérable.

La Russie, enlisée dans la guerre et dépendante des exportations chinoises, glisse lentement vers une forme de vassalisation. Pékin, en silence, gagne sur tous les fronts.

6. L’urgence d’une prise de conscience collective

Il est encore temps d’agir, mais à une condition : cesser de croire que la Chine joue selon les règles. C’est notre modèle qu’elle a retourné contre nous.

Il faut réinvestir dans l’industrie stratégique, relocaliser, revaloriser l’éducation scientifique, rééquilibrer les accords commerciaux et surtout, faire comprendre à nos sociétés que consommer est un acte politique.

Ce sursaut ne pourra venir que d’un effort conjoint : dirigeants lucides, citoyens responsables, entreprises réengagées dans le long terme.

Conclusion

La Chine n’a pas volé notre puissance : nous la lui avons abandonnée, aveuglés par le profit et la facilité. Si nous voulons éviter que le XXIe siècle ne soit dominé par une puissance autoritaire, il faut cesser d’être ses complices. Le réveil ne viendra ni des sommets diplomatiques ni des tweets politiques, mais d’une révolution du regard que nous portons sur notre propre modèle économique et moral.

Bibliographie

• Jacques Gravereau – *La Chine conquérante* (Eyrolles, 2021) : une analyse stratégique de la montée en puissance chinoise.

• Jean-Michel Quatrepoint – *Chine, le grand prédateur* (Gallimard, 2014) : une critique documentée des choix européens face à la Chine.

• Philippe Cohen & Luc Richard – *Le modèle chinois : mirage ou avenir ?* (Seuil, 2010) : sur les spécificités du modèle autoritaire chinois.

• Kevin Rudd – *The Avoidable War: The Dangers of a Catastrophic Conflict Between the US and Xi Jinping’s China* (PublicAffairs, 2022) : un regard lucide de l’ancien Premier ministre australien sur la confrontation à venir.

• Joe Zhang – *Inside China’s Shadow Banking: The Next Subprime Crisis* (Enrich Books, 2013) : sur les fragilités internes du modèle économique chinois.

• François Godement – *La Chine à nos portes : une stratégie pour l’Europe* (Odile Jacob, 2018) : un plaidoyer pour une réaction stratégique européenne.