Alors que les chaînes d’information en continu occupent une place centrale dans la perception des enjeux internationaux, un phénomène inquiétant s’impose de plus en plus : la confusion constante entre l’information vérifiée et l’opinion commentée. Ce brouillage, entretenu par les dispositifs éditoriaux eux-mêmes, nuit gravement à la compréhension du réel et à la confiance dans les médias traditionnels. Il est temps de rappeler une évidence : le droit à l’expression n’est pas un permis d’embrouiller.
1. Faits et interprétation : un devoir de distinction
La déontologie journalistique repose sur une séparation claire entre les faits — vérifiables, sourcés, recoupés — et les interprétations, analyses ou opinions, qui relèvent du commentaire. Cette distinction est au fondement même de la démocratie. Quand un média brouille cette frontière, il ne rend pas le monde plus intelligible : il le rend plus confus, plus relatif, plus émotionnel. Cela ouvre la voie aux manipulations, à la désinformation et au rejet global de toute parole médiatique.
2. L’exemple des sanctions contre la Russie
Sur les plateaux de chaînes comme LCI, il n’est pas rare d’entendre, dans un même journal, que les sanctions contre la Russie n’ont aucun effet, puis quelques minutes plus tard, que des financiers russes s’en plaignent (source : The Insider). Cet enchaînement montre bien que les faits sont instrumentalisés pour servir des narratifs contradictoires selon l’invité présent, sans que la chaîne ne rétablisse de cadre cohérent ou de hiérarchie explicative. Le spectateur est donc livré à une cacophonie d’interprétations sans jamais disposer de repères stables.
3. Le rôle de l’ARCOM
L’ARCOM (ex-CSA), autorité de régulation de l’audiovisuel et du numérique, a la mission de garantir la qualité de l’information diffusée et la protection du public. Si elle ne peut ni interdire l’opinion, ni imposer une ligne éditoriale, elle peut et doit rappeler aux chaînes leur obligation de distinguer clairement les faits des opinions, et de ne pas présenter des commentaires comme des réalités. Une simple mise en garde ou une charte de bonne pratique seraient déjà un signal fort à l’égard de médias de plus en plus perméables à la confusion délibérée.
4. Une proposition citoyenne simple
Il ne s’agit pas de censurer qui que ce soit, mais d’exiger un minimum de clarté : que les chaînes d’info indiquent clairement lorsqu’un propos relève du commentaire, qu’elles signalent les sources de manière transparente, et qu’elles alertent les spectateurs en cas de désaccord manifeste entre l’info brute et son interprétation. Une charte de clarté éditoriale pourrait être adoptée, à l’instar des chartes sur les fake news ou la protection des mineurs. Le public a le droit de comprendre ce qu’on lui présente.
Distinguer, c’est protéger l’intelligence collective
- L’information : c’est ce qui est vérifié, documenté, sourcé.
- L’interprétation : c’est ce qu’on en déduit, selon une grille de lecture ou une conviction.
- Le devoir du média : signaler cette différence clairement à chaque instant.
- Le rôle du citoyen : exiger cette rigueur, au nom du respect de son intelligence.