Depuis plusieurs décennies, le PIB est utilisé comme indicateur principal de la richesse d’une nation. Mais cette mesure, purement économique et quantitative, est aujourd’hui contestée par de nombreux économistes, philosophes et citoyens. Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi ont plaidé dès 2009 pour une redéfinition des indicateurs de prospérité, estimant que ce que l’on mesure influence ce que l’on fait.
Le PIB est utile, mais il ne rend pas compte de l’essentiel : l’éducation, la santé, la culture, le bien-être, la durabilité écologique. Il est temps de construire une comptabilité plus fidèle à la réalité humaine.
1. Ce que le PIB mesure… et ce qu’il ignore
Le PIB mesure la valeur monétaire des biens et services produits dans un pays, sans distinguer les effets positifs ou négatifs de cette production. Il intègre les dépenses liées aux accidents, à la pollution, aux soins, mais ignore le travail domestique, le bénévolat, la santé mentale, ou la valeur d’un paysage préservé.
Ce que le PIB mesure :
- La production marchande (biens industriels, services payants)
- Les salaires, les impôts, les cotisations sociales
- Les dépenses publiques au coût de production
Ce que le PIB ignore:
- Le travail non rémunéré (soins aux enfants, aux personnes âgées)
- Le niveau de santé, de bonheur, ou de culture
- Les inégalités et les impacts écologiques
2. Une critique fondée : Stiglitz, Sen, Fitoussi
Dans leur rapport de 2009, les trois économistes ont proposé une approche fondée sur trois dimensions complémentaires : les conditions matérielles d’existence, la qualité de vie, et la durabilité intergénérationnelle. Le but : construire un tableau de bord plus complet, plus fiable, et plus démocratique.
3. Que peut-on mesurer autrement ?
- Exemples d’indicateurs alternatifs :
- IDH (Indice de Développement Humain, ONU)
- PIB Vert (en discussion au niveau européen)
- Bonheur National Brut (Bhoutan)
- Tableaux de bord de l’OCDE sur le bien-être
PIB par-ci, PIB par-là – quand la médiatisation économique sabote la démocratie
La croissance, la dette, le PIB sont devenus des mots obsessionnels dans les médias. Mais cette visibilité extrême ne s’accompagne d’aucune pédagogie. Les journalistes économiques répètent des chiffres sans en expliciter les fondements, et tout responsable politique qui tente une approche plus nuancée est accusé de fuir la réalité ou d’être incompétent.
Cette focalisation crée un climat anxiogène : tout semble aller mal. Elle nourrit les extrêmes, qui s’emparent de chiffres mal interprétés pour proposer des solutions simplistes. La démocratie ne pourra pas survivre à cette économie du spectacle.
Conclusion : mesurer autrement pour gouverner autrement
Tant que nous mesurerons la santé d’un pays uniquement en points de PIB, nous négligerons l’essentiel : ce qui fait société. Une éducation solide, une culture vivante, une nature préservée, une population en bonne santé ne sont pas des coûts, mais des investissements. Réformer nos indicateurs, ce n’est pas relativiser la réalité : c’est en donner une image plus juste, plus humaine, plus durable.
Ce que la dette oublie – éducation, immigration et capital humain
Dans le débat public, l’éducation, la santé ou l’accueil de migrants sont souvent perçus comme des coûts. Mais cette perception est économiquement erronée.
L’éducation, par exemple, ne peut être considérée comme une dette, car elle prépare les générations futures à maintenir, et même à augmenter, la richesse collective. Elle forme le capital humain, socle de toute productivité. C’est un investissement à très long terme, comparable à une infrastructure, et non une simple dépense de fonctionnement.
De même, une immigration bien accompagnée peut constituer une ressource stratégique. Dans un pays vieillissant, les jeunes actifs immigrés participent au financement des retraites, à la vitalité économique et à l’innovation. À long terme, leur contribution peut être très largement positive – comme l’a montré l’exemple allemand après 2015.
En résumé : une dette véritablement nocive est celle qui ne prépare pas l’avenir. Une dette orientée vers la formation, la santé ou l’intégration n’est pas un fardeau : c’est une assurance pour la soutenabilité démocratique et économique de demain.