Nous entendons souvent cet argument devenu presque banal : « à l’époque de la création du système des retraites, il y avait 4 actifs pour 1 retraité, aujourd’hui il n’y en a plus que 1,7 ». Cette vérité statistique est censée expliquer à elle seule la fragilité croissante du système par répartition. Mais elle masque un raisonnement beaucoup plus profond, que l’on peut révéler par un simple calcul de bon sens.
Et si, au lieu de nous limiter au rapport brut d’actifs sur retraité, nous nous intéressions à la durée de l’effort de cotisation par rapport à la durée des prestations versées c.a.d. le ratio d’effort collectif? C’est ce que cet article propose d’éclairer.
Une modélisation simple mais révélatrice
Le ratio d’effort collectif mesure la quantité d’années de travail fournies par les actifs pour financer une année de retraite.
Autrement dit :

Le ratio d’effort collectif est un indicateur qui mesure combien d’années de cotisation sont disponibles, en moyenne, pour financer une année de retraite. Il combine trois éléments :
- le nombre d’actifs par retraité,
- la durée moyenne d’une carrière,
- la durée moyenne de la retraite.
Ce ratio permet de mieux visualiser la pression exercée sur le système de répartition : plus il est élevé, plus le financement est facile ; plus il baisse, plus la charge sur les actifs augmente.
Ainsi, voici le nombre d’années de travail au total devant être fournies par les actifs pour financer cette année de retraite :
- En 1960 : 4 actifs travaillent chacun 40 ans → 160 années de travail pour financer 5 années de retraite → soit 32 années de travail par an de retraite.
- Aujourdhui : 1,7 actif travaille 42 ans → 71,4 années de travail pour financer 20 années → soit 3,57 années de travail par an de retraite.
👉 Moins d’effort collectif disponible par an de retraite = système en tension.
La première réforme qui vient à l’esprit : l’allongement de la durée de travail :
En voici un scénario plus favorable qui améliore un peu la situation :
- 1,7 actif
- Une durée de cotisation portée à 45 ans
- Une durée de retraite réduite à 17 ans (retraite à 67 ans au lieu de 64)
Alors le ratio devient :
→ Ratio d’effort collectif : (1,7 × 45) / 17 = 4,5
Même en intégrant l’augmentation de la durée du travail, on ne revient qu’à 1/7,1 de l’équilibre initial.
La mesure d’âge augmente légèrement le Ratio d’effort collectif mais nous restons loin des valeurs retenues lors de la mise en place du système de retraite par répartition.

Productivité, PIB et retraites : une illusion d’équilibre automatique
L’un des arguments souvent mis en avant dans le débat sur les retraites est celui de la productivité. Puisque les actifs d’aujourd’hui produisent plus qu’hier, ne pourraient-ils pas, à effort égal, financer plus de pensions ? Cette idée paraît logique… mais elle repose sur une erreur fondamentale. La productivité, même si elle augmente le PIB, n’allège en rien la charge du système de retraite par répartition si celui-ci reste structuré comme aujourd’hui. Voici pourquoi.
Un raisonnement simple : revenu constant, retraite proportionnelle
Pour clarifier les choses, imaginons un scénario où le salaire d’un actif est toujours fixé à 100 unités, quelle que soit l’époque. La pension de retraite est fixée à 50 % du salaire moyen. Un retraité reçoit donc une pension de 50.
En 1960 :
- 4 actifs pour 1 retraité
- Cotisation nécessaire par actif = 50 ÷ 4 = 12,5 % du salaire
- Sur une carrière de 40 ans pour une retraite de 5 ans :
- → 40 × 0,125 × 4 = 20 années de retraite assurées (pour 5 ans par retraité)
- → Un actif peut assurer les pensions d’environ 8 retraités successifs
En 2020 :
- 1,7 actif pour 1 retraité
- Cotisation nécessaire par actif = 50 ÷ 1,7 ≈ 29,4 % du salaire
- Sur une carrière de 42 ans pour une retraite de 20 ans :
- → 42 × 0,294 × 1,7 ≈ 21 années de retraite assurées (pour 20 ans par retraité)
- → Un actif peut assurer les pensions de 2,47 retraités successifs avec un taux confiscatoire de 29,4 % de cotisation.
Ce que montre cette comparaison
Même avec un raisonnement très simplifié, le constat est clair : les actifs d’aujourd’hui supportent un effort presque 2,5 fois plus élevé qu’en 1960 pour un résultat à peine suffisant. Et ce, alors même que la productivité a doublé.
Pourquoi ? Parce que cette richesse supplémentaire ne va pas automatiquement dans le système de retraite. Elle est captée par d’autres usages : investissement, consommation, profits, dividendes, dépenses publiques diverses. Le système de répartition, en tant que tel, ne capte rien de la productivité si on ne le réforme pas expressément en ce sens.
Conclusion : la productivité ne suffit pas
Les actifs d’aujourd’hui cotisent davantage, travaillent plus longtemps, et soutiennent plus de retraités, sans bénéficier mécaniquement de la hausse de la richesse nationale. La productivité accroît le PIB, mais pas les pensions, sauf si l’on met en place un mécanisme de redistribution explicite. Toute réforme du système de retraite doit donc intégrer cette réalité économique : sans redistribution, il n’y a pas d’équité intergénérationnelle.
Réforme des retraites : vers un système mixte, équitable… et humain
Le débat sur les retraites revient sans cesse, polarisé entre refus de tout allongement de la durée de cotisation et exigences d’efforts supplémentaires. Et si nous changions de cadre ? Plutôt que de défendre ou d’attaquer le système actuel, posons une question simple : Quelle réforme serait à la fois soutenable, équitable et acceptable humainement ?
Une réponse réaliste : le système mixte
Pour garantir la pérennité du système tout en assurant l’équité, une solution réaliste consiste à combiner répartition et capitalisation. Cela signifie : maintenir une retraite de base par répartition, universelle mais modeste, et permettre une retraite complémentaire par capitalisation notamment pour les revenus les plus élevés.
Ce système fonctionne déjà dans plusieurs pays européens (Suède, Pays-Bas, Allemagne). Il respecte les capacités contributives différenciées et reconnaît la diversité des parcours professionnels.
La clé oubliée : transformer le travail, pas seulement les chiffres
La pénibilité est une réalité dans de nombreux métiers, mais notre société peut faire mieux. Depuis les années 1980, la robotisation, l’ergonomie, l’automatisation et l’IA ont permis d’améliorer les conditions de travail, notamment dans l’industrie, la logistique, les hôpitaux ou les maisons de soin.
Par ailleurs, il est temps de valoriser les salariés plus âgés non pour leur force physique, mais pour leur expérience. Un apprenti formé par un ancien gagne du temps, de l’efficacité et de la confiance. L’âge ne devrait plus être un facteur d’exclusion, mais un vecteur de transmission.
Conclusion : osons conjuguer équité, efficacité et humanité
Oui, le système par répartition seul n’est plus soutenable tel qu’il a été conçu. Oui, une réforme mixte est nécessaire. Mais non, cela ne doit pas se traduire par une régression sociale. Les outils existent pour réconcilier temps long, progrès technologique et vieillissement actif. Un système de retraite réussi ne se mesure pas qu’en années ou en euros, mais aussi en qualité de vie au travail, en utilité sociale des anciens, et en confiance collective.