Banques, cabinets d’audit, agences de notation : autopsie d’un système hors de contrôle
Introduction
Derrière les crises économiques, les scandales financiers et les plans d’austérité imposés aux peuples se cache une architecture opaque mais bien réelle, composée d’acteurs publics et privés : les grandes banques d’affaires qui manipulent les marchés, les cabinets d’audit qui valident les comptes qu’ils ont eux-mêmes conseillés, les agences de notation, faussement indépendantes, qui influencent les politiques publiques, et les régulateurs devenus banquiers, ou inversement. À cette structure s’ajoute une justice qui, lorsqu’elle se décide à agir, n’enferme jamais les puissants, mais négocie des amendes qui, pour ces entités, ne sont que des frais généraux. Ce texte n’est pas une dénonciation complotiste. C’est le constat méthodique d’un déséquilibre devenu institutionnalisé.
1. Les banques d’affaires : faiseuses de crise, mais jamais responsables
Goldman Sachs, Deutsche Bank, JPMorgan : ces noms évoquent moins des entreprises que des empires financiers transnationaux. Leurs responsabilités dans les crises des deux dernières décennies sont pourtant bien établies.
Ces institutions jouent un rôle central dans les marchés mondiaux mais sont régulièrement impliquées dans des affaires de blanchiment, fraude ou manipulation financière. Goldman Sachs (crise des subprimes, 1MDB, financement de la Grèce – pas illégal mais limite ) et Deutsche Bank (blanchiment russe, Epstein, Trump) illustrent une culture du risque asymétrique : profits privés, pertes publiques. Les amendes sont devenues un coût d’exploitation. Les dirigeants, eux, demeurent quasi intouchables.
Exemples accablants :
Principales condamnations de Goldman Sachs
| Année | Motif | Montant ou faits |
| 2010 | Crise des subprimes | 550 M$ (SEC) – produits toxiques vendus tout en spéculant contre eux |
| 2020 | Scandale 1MDB (Malaisie) | 2,9 Mds $ – implication directe dans des détournements publics |
| 2016 | Discrimination au logement | 5 Mds $ (subprimes) – règlement avec le DOJ |
| 2012 | Manipulation de l’aluminium | ~100 M$ (confidentiel) |
| 2023 | Défaut d’information (ETF complexes) | 6 M$ (SEC) |
Principales condamnations de Deutsche Bank
| Année | Motif | Montant ou faits |
| 2015 | Manipulation du Libor | 2,5 Mds $ (USA, UK) |
| 2017 | Blanchiment russe (mirror trades) | 630 M$ (USA + UK) |
| 2019 | Violation des embargos | 258 M$ (OFAC – Iran, Syrie, etc.) |
| 2020 | Affaire Epstein | 150 M$ (manquements graves au contrôle) |
Et pourtant, aucun dirigeant n’a été emprisonné. La logique est simple : « On paie, on continue. »
2. Les Big Four : auditeurs ou complices ?
PwC, KPMG, Deloitte, EY sont omniprésents. Ils auditent les plus grandes entreprises du monde… tout en leur vendant des services d’optimisation fiscale, de stratégie et de restructuration. Ce double rôle crée un conflit d’intérêt permanent.
Scandales emblématiques :
| Année | Affaire | Cabinet impliqué | Résumé |
| 2001 | Enron | Arthur Andersen (dissous) | Falsification comptable massive |
| 2011–2020 | Wirecard | EY | 1,9 Md € introuvable, audit validé 3 ans |
| 2014 | LuxLeaks | PwC | Optimisation fiscale extrême pour multinationales |
| 2018 | Carillion (UK) | KPMG | Audit rassurant avant faillite |
| 2021 | Greensill / Gupta | KPMG | Alertes ignorées |
| 2023 | Silicon Valley Bank | KPMG | Audit publié juste avant faillite |
Ce ne sont pas de simples erreurs : ce sont des mécanismes systémiques de dérégulation habillée en conformité.
3. Les agences de notation : influenceurs sans contre-pouvoir
Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch ne sont pas des agences publiques. Ce sont des entreprises privées, rémunérées par ceux qu’elles notent. Elles peuvent faire ou défaire la stabilité d’un État, sans responsabilité.
– 2008 : des produits subprimes notés AAA → dévastation mondiale.
– 2010–2012 : la Grèce, l’Espagne, le Portugal voient leur note chuter → les taux flambent → austérité généralisée.
– 2011 : menace sur la France → plans de rigueur imposés dans l’urgence.
Et pourtant, aucune sanction pour les notes erronées, aucune reconnaissance de faute.
4. La porte tournante : régulateurs aujourd’hui, banquiers demain
Les institutions de régulation (SEC, BCE, Trésor, etc.) sont peuplées d’hommes et de femmes qui ont travaillé dans la finance — et qui y retournent ensuite. C’est ce qu’on appelle la « révolving door ». Le phénomène de ‘porte tournante’ permet aux cadres de la SEC, du Trésor ou des banques centrales de passer dans le privé avec leurs réseaux et connaissances. Ce système affaiblit la régulation. Des figures comme Henry Paulson, Jay Clayton ou Mario Draghi illustrent cette porosité institutionnelle où l’expertise devient outil d’influence..
| Nom | Régulation publique | Poste privé associé |
| Henry Paulson | Secrétaire au Trésor (USA) | Ex-CEO Goldman Sachs |
| Jay Clayton | Président SEC (sous Trump) | Avocat de Wall Street |
| Mario Draghi | BCE, Premier ministre italien | Ex-Goldman Sachs |
Le résultat : une autocensure institutionnelle et une captation progressive de l’intérêt général.
5. Une justice asymétrique
Un citoyen fraude pour 10 000 € → il est poursuivi, condamné, parfois incarcéré.
Une banque blanchit des milliards → elle verse une amende sans procès ni aveu.
| Acteur | Délit | Sanction |
| Bernard Madoff | Escroquerie (60 Mds $) | 150 ans de prison |
| Deutsche Bank | Blanchiment massif | Aucune incarcération |
| Goldman Sachs | Détournement (1MDB) | Amende de 2,9 Mds $ |
| Citoyen lambda | Fraude sociale | Poursuite pénale |
Conclusion : l’impunité est structurelle, pas accidentelle
Ce que cet article montre n’est pas un scandale ponctuel. C’est une organisation du monde, dans laquelle : les contrôleurs sont dépendants des contrôlés, les règles sont rédigées par ceux qui savent les contourner, et les sanctions ne sont jamais dissuasives quand le fautif est trop gros. Ce n’est pas un complot. C’est un écosystème d’influence, d’habitudes, de réseaux — parfaitement huilé. La véritable réforme ne viendra pas des sommets de la finance, mais d’une volonté politique et citoyenne de reprendre le contrôle, de redéfinir les règles du jeu, et de réhabiliter la notion de responsabilité réelle — même pour les puissants.