L’histoire bégaie-t-elle ? Ukraine, neutralité et leçons de 1941

Alors que l’Ukraine tente de reconquérir ses territoires occupés, certains en Europe et aux États-Unis acceptent de plus en plus l’idée qu’ils pourraient rester russes ‘de fait’. Ce renoncement rappelle dangereusement les hésitations des démocraties face à l’Allemagne nazie avant l’entrée en guerre des États-Unis. Ce n’est pas la première fois que l’histoire hésite entre le réalisme et le déshonneur.

1. 1938-1941 : les démocraties hésitantes

Dans les années 1930, les États-Unis adoptent une série de lois sur la neutralité pour éviter toute nouvelle implication dans un conflit étranger. Traumatisés par la Première Guerre mondiale, les Américains s’enferment dans une politique isolationniste. Pendant ce temps, l’Europe bascule lentement dans le chaos.

La France et le Royaume-Uni, affaiblis, cèdent tour à tour face à Hitler : l’Autriche est annexée sans résistance (Anschluss, mars 1938), les Sudètes sont abandonnés (Conférence de Munich, septembre 1938), la Tchécoslovaquie trahie. Les pétainistes, plus tard, justifieront la collaboration comme le seul moyen réaliste d’éviter la destruction.

2. Lend-Lease : le tournant américain

Ce n’est que progressivement que les États-Unis se réengagent. Le Lend-Lease Act, signé en mars 1941, marque un basculement : sans entrer officiellement en guerre, Washington décide de soutenir matériellement le Royaume-Uni et l’URSS. Ce soutien massif sera déterminant.

L’attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941, suivie de la déclaration de guerre de l’Allemagne et de l’Italie (11 décembre), entraîne l’engagement total des États-Unis dans la guerre mondiale.

3. Et si les États-Unis n’étaient jamais intervenus ?

C’est une hypothèse glaçante, mais historiquement crédible : sans l’entrée en guerre des États-Unis, l’Allemagne nazie aurait pu conserver la main sur l’Europe occidentale, tandis que la Russie aurait été vaincue à l’est. Le prix de la neutralité aurait été l’effacement des démocraties.

4. 2022-2025 : une nouvelle hésitation ?

Aujourd’hui, certains dirigeants européens, et même américains, semblent prêts à accepter une ‘paix figée’, qui laisserait à la Russie les territoires ukrainiens conquis. Le raisonnement est cynique : il vaut mieux figer un front que prolonger une guerre coûteuse.

Mais cela revient à dire aux Ukrainiens : ‘ces terres ne valent pas une guerre mondiale’. Une phrase qui rappelle les propos de Neville Chamberlain à son retour de Munich, parlant d’un ‘conflit lointain entre des peuples dont nous ne savons rien’.

5. Neutralité, consentement et responsabilité

Comme dans les années 1930, le refus d’intervenir activement devient une forme de complicité passive. En 2025, les États-Unis ne sont pas neutres, mais certains responsables politiques y prônent un retour au ‘America First’ de l’avant-guerre. Et certains Européens redoutent plus l’augmentation du prix du gaz que la défaite de la démocratie à Kiev.

Plus grave encore : les puissances occidentales parlent de la guerre comme si elle leur appartenait. Elles décident entre elles si les Ukrainiens doivent abandonner ou résister, sans véritablement écouter leur peuple. Pourtant, ce sont eux qui se battent, qui meurent, et qui défendent un territoire. Leur imposer une paix injuste, c’est mépriser leur souveraineté autant que leur sacrifice. C’est nourrir, demain, une haine froide et tenace envers ceux qui les auront abandonnés au nom du ‘pragmatisme’.

Conclusion

L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais elle bégaie souvent. En abandonnant l’Ukraine à une paix injuste, nous répéterions les erreurs de 1938, avec la même illusion de sécurité à court terme. Il faut se souvenir que le coût de la neutralité fut, autrefois, la guerre totale.

Annexe : Neutrality Acts et Lend-Lease Act

Lend-Lease Act (mars 1941) : loi autorisant le président américain à fournir matériel militaire et aide économique aux pays dont la défense est jugée vitale pour la sécurité des États-Unis. Ce fut une rupture avec la neutralité : elle permit un soutien massif au Royaume-Uni, à l’URSS et aux Alliés, bien avant l’entrée en guerre officielle des États-Unis.

Neutrality Acts (1935-1939) : ensemble de lois votées par le Congrès des États-Unis pour interdire la vente d’armes, les prêts et le transport de marchandises vers des nations en guerre. Elles visaient à empêcher l’implication américaine dans des conflits extérieurs, en réaction aux traumatismes de la Première Guerre mondiale.