
Il est devenu rare, presque suspect, qu’un responsable politique revendique une filiation philosophique. Non pas pour citer les Anciens dans un discours d’hommage ou faire briller une culture livresque, mais pour penser l’action depuis les idées. Emmanuel Macron l’a tenté, parfois maladroitement, souvent sincèrement. Cette tentative, aujourd’hui caricaturée ou méconnue, mérite pourtant d’être interrogée.
La complexité comme point de départ
Le jeune Macron, formé à la philosophie et lecteur de Paul Ricœur, n’a pas choisi la voie du simplisme. Bien au contraire. À travers son expérience auprès du philosophe — lors de la préparation du livre La mémoire, l’histoire, l’oubli — il a approché une pensée exigeante : celle qui ne renonce ni à l’interprétation ni au doute, ni à l’exigence de compréhension réciproque. Ricœur prônait la médiation, la reconnaissance mutuelle, la justice tempérée par le temps long. Macron a tenté de porter ces idées dans l’arène politique, là où les passions bousculent, où la raison s’érode.
La médiation, révolution silencieuse
Dans Révolution, ouvrage manifeste publié avant son élection, Emmanuel Macron n’appelle pas à une rupture brutale. Il appelle à un dépassement. Non pas « en même temps » au sens d’une posture tiède, mais comme volonté d’intermédiaire, entre l’entreprise et l’État, entre l’individu et la société, entre l’efficacité et l’équité. Cette révolution-là n’a rien de spectaculaire. Elle se joue dans l’articulation, pas dans l’affrontement.
C’est là une forme rare de révolution : celle qui ne cherche pas à vaincre, mais à composer. Dans un monde politique dominé par la polarisation, la simplification des antagonismes, et l’exaltation identitaire, vouloir faire de la médiation un axe politique est en soi un geste subversif.
La tragédie de l’intelligence politique
Le populisme, de gauche comme de droite, n’est pas absent de la réalité. Mais il la déforme. Il simplifie pour séduire. Il nomme un ennemi, désigne un coupable, trace une ligne de pureté. Il rejette les médiateurs (institutions, élites, journalistes, chercheurs) au motif qu’ils compliquent. Et il prétend faire peuple en supprimant le tiers.
Macron, à l’inverse, a tenté d’assumer la complexité, de gouverner sans céder à la démagogie. Il a voulu faire vivre l’intelligence dans le champ politique, à rebours d’une époque qui la méprise ou s’en méfie. Ce pari lui a valu autant de critiques que d’incompréhensions. Peut-être parce qu’il n’a pas su trouver, toujours, le ton juste ; peut-être aussi parce que l’époque elle-même rejette ce qu’elle appelle l’entre-deux, mais qui est en réalité la nuance.
Une époque sans tiers
Le vrai échec de notre temps n’est pas d’avoir de mauvais dirigeants, mais de ne plus croire au rôle du tiers. Le tiers, c’est l’institution. C’est la loi. C’est l’éthique de la discussion. C’est l’expert, le juge, l’enseignant, le journaliste de bonne foi. C’est aussi, au fond, l’idée que la vérité n’est jamais immédiate, ni dans le cœur ni dans les foules. Macron, dans ce cadre, est l’un des rares à avoir tenté de maintenir cet espace du tiers dans l’action politique.Il aura souvent échoué à le faire entendre. Mais le simple fait d’avoir essayé, dans ce climat, relève déjà d’un acte politique majeur.