Introduction
Derrière le slogan ‘Make America Great Again’ se cache bien plus qu’un projet politique : une construction idéologique enracinée dans l’histoire morale du Parti républicain. Cette formule, d’abord utilisée par Ronald Reagan, devient sous Donald Trump le cœur d’une religion politique qui mêle évangélisme, nostalgie identitaire et rejet de la complexité démocratique. Pour comprendre cette mutation, il faut revenir au traumatisme du Watergate, à la montée en puissance de l’évangélisme américain, et à la fabrication d’un récit de grandeur perdue.
1. Le Watergate : une honte fondatrice
En 1974, Richard Nixon démissionne après le scandale du Watergate, marquant l’un des plus grands désastres politiques du XXe siècle pour les États-Unis. Le Parti républicain est profondément discrédité. Aux yeux de nombreux Américains, il incarne désormais le cynisme, le mensonge et la corruption.
Gerald Ford, qui succède à Nixon, tente d’apaiser le pays en le graciant, mais ce geste renforce le soupçon d’impunité. Le traumatisme est tel que les républicains doivent se réinventer moralement pour regagner la confiance populaire.
2. Ronald Reagan : vers une Amérique restaurée
Ronald Reagan est élu en 1980 avec une promesse claire : redonner sa grandeur à l’Amérique. Il parle d’un pays affaibli par les scandales, la guerre du Vietnam, la crise économique et morale. C’est dans ce contexte qu’il utilise le slogan : “Let’s Make America Great Again”. Pour Reagan, il s’agit de réconcilier la politique avec une forme de foi civique et d’optimisme américain.
Reagan séduit aussi les évangéliques blancs, qui se sentent menacés par les avancées des droits civiques, du féminisme et de la laïcisation. Il devient leur champion sans être lui-même un religieux dévot, mais il comprend la puissance électorale d’une alliance entre Dieu, patrie et famille.
3. L’évangélisme comme force politique
Depuis les années 1950, avec Billy Graham, l’évangélisme a gagné en visibilité. Mais c’est dans les années 1980 qu’il devient une véritable force politique organisée, avec des figures comme Jerry Falwell ou Pat Robertson. Ils mobilisent des millions d’électeurs autour de thèmes identitaires : avortement, école chrétienne, créationnisme, rejet de la permissivité morale.
Cette droite chrétienne fournit aux républicains une base électorale fidèle, structurée et militante. Elle devient la colonne vertébrale du mouvement conservateur américain, et trouve en Reagan un allié stratégique.
4. Donald Trump : la radicalisation d’un mythe
Lorsqu’il reprend le slogan MAGA en 2016, Trump ne reprend pas l’optimisme de Reagan, mais le transforme en cri de guerre identitaire. L’Amérique n’est plus un pays à restaurer : c’est un pays à sauver de l’ennemi intérieur. Trump inverse la promesse initiale pour en faire une revanche contre les élites, les minorités, la presse et la science.
Ironie tragique : alors même qu’il incarne le mensonge, le cynisme et le mépris des institutions, Trump est porté par les évangéliques blancs, qui voient en lui un instrument de Dieu. L’évangélisme politique fusionne alors avec le nationalisme MAGA pour former une quasi-religion politique, où le doute est hérésie, la foi aveugle, et l’adversaire un traître.
Conclusion
MAGA n’est pas un slogan : c’est une croyance. Une croyance née de la honte du Watergate, sanctifiée par Reagan, et radicalisée par Trump. Elle mêle nostalgie morale, mythe national et messianisme évangélique. Refuser cette dérive, ce n’est pas attaquer la foi des individus, mais rappeler que la démocratie meurt quand la politique devient une liturgie, et que le mensonge s’érige en vérité sacrée.
> « Le nationalisme est une religion pour ceux qui ont perdu la foi. » — Pierre-Henri Simon
Afro-Américains, évangélisme et vote Trump — une convergence paradoxale ?
Traditionnellement, les Afro-Américains votent massivement démocrate, en raison de l’histoire des droits civiques et de l’implication du Parti démocrate dans la lutte contre la ségrégation. Mais plusieurs phénomènes récents nuancent ce tableau :
- Un fort enracinement religieux évangélique
De nombreux Afro-Américains appartiennent à des églises évangéliques, pentecôtistes ou baptistes, mettant l’accent sur la conversion, l’autorité biblique, la famille traditionnelle et la réussite personnelle. Ces églises jouent un rôle structurant dans les communautés noires. - Une méfiance croissante envers le progressisme culturel
Certains croyants noirs, notamment plus âgés, se montrent réticents face aux discours ‘woke’ sur le genre, la sexualité ou l’éducation. Le conservatisme moral les rapproche parfois des positions défendues par la droite. - Trump et la rhétorique de la prospérité
Donald Trump a séduit certains pasteurs noirs par son discours sur l’entreprenariat, le succès individuel, et la bénédiction divine. Il a noué des partenariats médiatiques et financiers avec des figures religieuses influentes. - Un vote minoritaire mais stratégique
Le vote afro-américain pour Trump reste minoritaire (autour de 8 à 12 %), mais il progresse, notamment chez les hommes croyants attachés à l’ordre, à l’autorité et à la réussite. Ce vote s’ancre dans une vision morale et religieuse du monde.
En résumé : le vote afro-américain pour Trump ne contredit pas l’histoire démocrate. Il révèle la puissance transversale de l’évangélisme comme socle moral et identitaire — au-delà des clivages raciaux.
Post-scriptum – Honorer le courage moral : Billy Graham, la repentance d’un homme de foi
Il serait injuste de clore cet article sans saluer un geste rare dans l’histoire politique et religieuse américaine : la reconnaissance par Billy Graham de ses propres erreurs. Lui qui fut l’un des premiers grands artisans du rapprochement entre foi évangélique et pouvoir présidentiel a eu, à la fin de sa vie, le courage de revenir sur ses engagements les plus ambigus.
Profondément affecté par la trahison morale de Richard Nixon, auquel il avait accordé sa confiance, Graham s’est publiquement désolidarisé de la politisation excessive de l’Évangile. Il a exprimé des regrets clairs : avoir mêlé la foi chrétienne à la politique partisane, et s’être laissé instrumentaliser par le pouvoir.
Cette lucidité tardive témoigne d’un engagement spirituel sincère. Elle n’efface pas les erreurs, mais révèle une qualité essentielle : la capacité à faire retour sur soi, à discerner ce qui, au nom du bien, a pu servir le contraire.
Dans un monde où la parole publique est souvent figée dans l’orgueil ou la dénégation, ce geste mérite d’être reconnu. Billy Graham, à travers cette repentance, a rappelé que la foi véritable commence là où finit la vanité.