Dans le débat public français, une formule revient sans cesse comme une antienne universelle : « On manque de moyens ». Ce réflexe, devenu presque pavlovien, permet de clore un sujet sans en explorer les causes profondes. Mais derrière cette expression se cache souvent un évitement plus large : celui de la responsabilité individuelle et collective.
1. La fuite de responsabilités
Le recours au « manque de moyens » sert souvent à masquer une déresponsabilisation généralisée :
• Les parents : Lorsqu’un enfant ne sait pas nager, est-ce uniquement la faute d’un manque de piscines ou de maîtres-nageurs ? La vigilance autour des baignades reste une responsabilité parentale essentielle.
• Les collectivités : Certaines communes font le choix de financer des infrastructures sportives, d’autres non. La tentation est grande de faire peser toute la charge sur l’État.
• L’individu : La culture de l’autonomie – chercher un cours, apprendre par soi-même, prévenir plutôt que subir – semble s’effacer au profit d’une attente systématique de solutions extérieures.
2. L’accusation réflexe des politiques
En France, l’État centralisé est perçu comme le garant universel. Chaque crise déclenche automatiquement une mise en cause du gouvernement, même quand les responsabilités sont partagées ou relèvent d’un autre niveau.
Les politiques, sous pression constante, répondent par des promesses : plus de lois, plus de moyens, plus d’agents. Mais cette fuite en avant masque souvent une absence de priorisation et d’évaluation réelle de l’efficacité des politiques publiques.
3. Le paradoxe européen
La France est l’un des pays d’Europe qui dépense le plus dans ses services publics (éducation, santé, sécurité sociale), et pourtant le sentiment de « manque » reste omniprésent.
Ce paradoxe s’explique en partie par l’absence d’évaluation rigoureuse des dispositifs existants, et par une culture de la plainte qui tend à évacuer la responsabilité citoyenne. Dans d’autres pays européens, à moyens constants voire moindres, des résultats comparables voire meilleurs sont atteints, parce que la logique de co-responsabilité y est plus intégrée.
La noyade, un exemple emblématique
Face à la hausse des noyades, la réaction immédiate fut : « on manque de moyens ». Mais les enfants doivent apprendre à nager dès le primaire. Les piscines existent, les programmes aussi. Le problème vient souvent d’un manque d’organisation, d’un déficit d’engagement parental, et d’une absence de priorité éducative claire.
Conclusion
La formule « on manque de moyens » est devenue un paravent commode. Elle permet de désigner un responsable externe – l’État – et d’éviter les vraies questions : comment mieux utiliser ce que nous avons ? Quelle part de responsabilité sommes-nous prêts à assumer ? Tant que le débat restera figé sur l’obsession budgétaire sans analyse de l’usage et des priorités, le progrès restera hors de portée.