McKinley ressuscité : la machine idéologique derrière le populisme de Trump

Quand un président oublié devient le parrain symbolique d’un projet radical de reconquête politique.

Bâtiment de la Heritage Foundation à Washington D.C., l’un des principaux think tanks conservateurs américains ayant contribué à façonner l’idéologie du trumpisme moderne. (Source : Wikimedia Commons)

Un nom oublié… soufflé à Trump

Lors de son discours inaugural de 2025, Donald Trump a surpris jusqu’à ses partisans les plus aguerris en évoquant son admiration pour un président oublié du panthéon américain : William McKinley (1897–1901).

Pourquoi ce choix ? Trump, qui cite rarement l’Histoire, ne puise pas spontanément dans les livres. Ce sont ses idéologues de l’ombre, issus de think tanks comme la Heritage Foundation ou le Claremont Institute, qui lui soufflent des noms, des figures, des concepts. Et McKinley est un candidat parfait pour leur projet.

La stratégie : réinventer un passé mythifié

Faire de McKinley un modèle n’a rien d’innocent. C’est une opération de réécriture historique idéologique, selon trois axes :

  1. Un champion du nationalisme économique
    McKinley est l’homme du tarifisme, cette politique de droits de douane élevés destinée à protéger l’industrie américaine. Cela colle parfaitement à l’agenda de Trump et de son projet universal tariffs (10 % sur toutes les importations).
  2. Un président d’avant le “déclin” progressiste
    En citant McKinley, les idéologues trumpistes effacent Roosevelt, Wilson, le New Deal, les droits civiques, la régulation… Ils remontent à une Amérique blanche, industrieuse, patriote et conquérante, encore vierge de réformes sociales.
  3. Un héros de la conquête impériale
    McKinley a présidé aux guerres de 1898, menant à l’annexion des Philippines, de Guam, de Porto Rico — première phase d’un impérialisme américain revendiqué. Un précédent utile pour un Trump qui ne cache plus sa volonté d’imposer l’hégémonie américaine par la force et les deals.

Think tanks : l’Histoire comme levier politique

Cette manœuvre n’est pas improvisée. Depuis 2016, une galaxie intellectuelle ultra-conservatrice s’emploie à fournir à Trump un cadre idéologique :

  • Heritage Foundation : à l’origine du Project 2025, qui prévoit une restructuration complète de l’État fédéral.
  • Claremont Institute : défend l’idée que l’Amérique vit une crise de régime.
  • Hillsdale College : propose une réécriture chrétienne et providentialiste de l’histoire américaine.

Ces institutions produisent des récits prêts à l’emploi. Trump n’a plus qu’à y puiser quelques noms ou slogans pour se draper dans une légitimité historique construite de toutes pièces.

Un parallèle troublant avec la France de 1890–1914

Cette stratégie américaine résonne étrangement avec la France de la même époque. En effet, les années 1890–1914 sont, des deux côtés de l’Atlantique, un âge d’or du populisme naissant :

États-Unis (People’s Party, McKinley)  —  France (Barrès, nationalisme identitaire)

  • Protectionnisme, anti-banquiers      —  Anti-dreyfusisme, exaltation du terroir
  • Populisme économique                 —  Populisme identitaire
  • Mobilisation de la paysannerie       —  Mobilisation des « vrais Français »
  • Méfiance envers les élites           —  Méfiance envers les élites parisiennes

Pourquoi ce détail historique compte

Ce genre de référence — McKinley, oublié du grand public — peut sembler anecdotique. Mais il est au contraire révélateur d’une stratégie intellectuelle profonde : construire une mythologie politique alternative, capable de légitimer un changement de régime.

Trump n’est pas un penseur, mais ses équipes le sont, et elles savent que les récits les plus puissants sont ceux qui donnent un sens historique à l’action politique.

En guise d’écho personnel

Si ce détail m’a marqué, c’est qu’il relie une époque apparemment lointaine à notre présent troublé. Il montre combien les dirigeants les plus bruyants ne sont parfois que les porte-voix d’idéologies raffinées, parfois dangereuses, toujours construites.

En repérant cette référence, j’espère transmettre à mes enfants et amis non seulement un peu de culture politique, mais aussi une manière de lire entre les lignes : ne pas sous-estimer la portée d’un nom, d’une citation, d’une époque ressuscitée à dessein.