Apprentissage en France : un succès relatif, mais structurellement fragile

Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la France a connu une explosion du nombre de contrats d’apprentissage. Présentée comme une réussite incontestable du gouvernement, cette dynamique masque pourtant des limites profondes, rarement évoquées dans les médias.

1.    Une croissance spectaculaire depuis 2017

En 2017, le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage était d’environ 300 000. Sous l’effet de la réforme de 2018 (loi Avenir professionnel), puis des aides exceptionnelles mises en place pendant la pandémie de Covid-19, ce chiffre a bondi pour atteindre plus de 878 000 contrats signés en 2024, soit près de trois fois plus en sept ans.

2.    Une dynamique fondée sur l’État, pas sur l’économie réelle

Contrairement à l’Allemagne ou l’Autriche, où l’apprentissage est intégré au système secondaire via le modèle dual, le système français repose largement sur un financement public. Les entreprises françaises, souvent privées d’un tissu industriel local, peinent à assumer un rôle moteur. L’apprentissage y est perçu comme un levier social, et non comme une stratégie économique à long terme.

3.    Comparaison internationale

Le tableau ci-dessous montre que la France a rattrapé une partie de son retard en volume, mais reste derrière l’Allemagne en proportion d’apprentis dans la population active. Elle dépasse désormais l’Italie, l’Espagne et rivalise avec le Royaume-Uni en termes absolus.

4.    Comparaison internationale d’évolution (2017–2024)

Le graphique ci-dessous illustre les trajectoires différenciées des politiques d’apprentissage en Europe depuis 2017. La France se distingue par une croissance spectaculaire, tandis que les autres pays présentent une relative stabilité, en particulier l’Allemagne et la Suisse.

5. Un paradoxe structurel

L’explosion de l’apprentissage en France intervient dans un contexte de désindustrialisation ancienne et marquée. Avec seulement 11 % de son PIB issu de l’industrie contre 22 % en Allemagne, la France souffre d’un manque de débouchés concrets pour les apprentis, notamment dans les métiers techniques ou productifs.

Impact de l’apprentissage sur l’emploi des jeunes en France (2017–2024)

Depuis 2017, le taux d’emploi des jeunes en France a progressé de manière significative, en grande partie grâce au développement rapide de l’apprentissage.

1.    Définition : qu’est-ce que l’alternance ?

L’alternance désigne un mode de formation qui combine :
– une formation théorique en centre de formation (CFA, université…)
– une activité professionnelle rémunérée en entreprise

Elle se décline en deux types de contrats : le contrat d’apprentissage (formation initiale) et le contrat de professionnalisation (formation continue ou insertion).

2.    Une amélioration mesurable de l’emploi des jeunes

Le taux d’emploi des 15-24 ans est passé de 29,2 % en 2017 à 35,2 % en 2023, soit une hausse de 6 points, avec une légère stabilisation en 2024 à 34,8 %. Il s’agit du plus haut niveau depuis le début des années 1990.

3.    Le rôle central de l’apprentissage

D’après la Cour des comptes (2025), plus de la moitié de cette amélioration est directement liée au développement de l’alternance, et notamment du contrat d’apprentissage. Les jeunes en alternance étant comptabilisés comme « en emploi », l’essor des contrats signés depuis 2018 a eu un impact statistique et réel sur leur insertion professionnelle.

4.    Des effets encore fragiles

Le ralentissement de la dynamique en 2023-2024, ainsi que la concentration des contrats dans les formations supérieures et les secteurs tertiaires, interroge sur la pérennité de cette tendance. Pour qu’elle soit durable, il faudra renforcer l’apprentissage dans les métiers techniques, industriels et manuels, en particulier dans les zones les plus touchées par le chômage des jeunes.

Conclusion

L’apprentissage a prouvé son efficacité pour améliorer l’emploi des jeunes, mais il ne peut compenser à lui seul les déséquilibres structurels du marché du travail. Il doit désormais s’inscrire dans une stratégie plus large de réindustrialisation, de valorisation des filières techniques et de cohésion territoriale.

Pourquoi l’apprentissage peine à se développer en France : un héritage structurel

1. La désindustrialisation massive en France (1975–2005)

La France a perdu près de 40 % de ses emplois industriels en trente ans, un phénomène beaucoup plus rapide et profond qu’en Allemagne ou dans les pays nordiques.

• Allemagne : a modernisé son industrie sans la sacrifier, grâce à une stratégie de filières (automobile, machines-outils, chimie) et au système dual.
• France : a opté pour une vision tertiarisée de l’économie, négligeant les chaînes productives intégrées.

Conséquence : la base même de l’apprentissage – les entreprises industrielles – s’est effondrée. Comment former des apprentis dans des ateliers qui n’existent plus ?

2. L’argument du progrès technique ne tient pas la route

L’argument souvent avancé selon lequel la désindustrialisation serait liée au progrès technique ne tient pas face à la comparaison internationale :

• Le progrès technique a été global.
• Allemagne, Suisse, Japon ont robotisé sans désindustrialiser.

Ce qui a manqué en France : une politique industrielle cohérente, un ancrage territorial, et une vision à long terme.

3. Les élites économiques ont misé sur la globalisation

La phrase résume bien la situation : « Les cerveaux en France ou Belgique, les mains en Chine ou Inde. »

• Le modèle valorisait la conception en Europe et la fabrication à bas coût ailleurs.
• Ce modèle repose aussi sur une idéologie : la dévalorisation des métiers techniques en France.

4. L’Allemagne a fait l’inverse

• Forte estime des métiers techniques.
• Apprentissage = investissement des entreprises.
• Écosystème cohérent : éducation + industrie + territoire.

Résultat : l’apprentissage fonctionne car l’économie industrielle est vivante.

Conclusion

La France tente de réintroduire l’apprentissage sans avoir le tissu industriel nécessaire pour l’absorber.
Comparer les dépenses d’État sans considérer le rôle des entreprises ou l’état du tissu industriel est trompeur.

Comprendre l’apprentissage et la désindustrialisation

1. Qu’est-ce que le système dual ?

    Le système dual, typique de l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse, combine :
    – Une formation en entreprise (3 à 4 jours par semaine)
    – Des cours théoriques en école professionnelle (1 à 2 jours)
    Ce modèle valorise les métiers techniques et permet une insertion rapide et efficace sur le marché du travail.

    2. Pourquoi l’apprentissage est-il plus difficile en France ?

    – L’image sociale dévalorisante des filières professionnelles
    – Un tissu industriel plus faible, avec moins d’entreprises locales pour accueillir les jeunes
    – Une organisation éducative où l’apprentissage est souvent une « deuxième chance », et non un choix initial valorisé

    3. Qu’est-ce que la désindustrialisation ?

    C’est le recul de la part de l’industrie dans l’économie d’un pays. Elle se traduit par :
    – Moins d’emplois industriels
    – Moins d’entreprises manufacturières
    – Une perte de savoir-faire et de souveraineté productive
    Elle peut être due à des choix politiques, à la mondialisation, à la robotisation… mais pas toujours de manière inévitable.

    4. Pourquoi lier apprentissage et industrie ?

    Sans tissu industriel, il est difficile de proposer un apprentissage efficace.
    Inversement, sans apprentis bien formés, il est difficile de faire vivre une industrie locale compétitive.
    C’est un cercle vertueux… ou vicieux, selon la politique menée.

    5. Comparaison France vs Allemagne – Poids de l’industrie.

    AnnéeFrance (%)Allemagne (%)
    1980.022.028.0
    1990.018.527.0
    2000.015.025.0
    2010.012.523.5
    2020.010.522.5

    Une banalisation de l’apprentissage dans le tertiaire ?

    Depuis 2020, plus de 60 % des contrats d’apprentissage concernent l’enseignement supérieur (Bac+2 à Bac+5). Les secteurs bénéficiaires sont majoritairement tertiaires : commerce, RH, finance, informatique…

    Ce glissement soulève une question légitime : les entreprises utilisent-elles l’apprentissage comme un outil de formation ou comme une période d’essai subventionnée ?

    • Risques identifiés :
    • Effet d’aubaine : aides publiques utilisées pour tester des profils déjà diplômés, sans embauche à la clé.
    • Ciblage inversé : les jeunes en difficulté ou peu diplômés restent en marge du dispositif.
    • Finalité détournée : l’apprentissage n’est plus un levier d’insertion prioritaire pour les métiers manuels ou industriels.

    Conclusion

    Le succès quantitatif est indéniable, mais la France reste confrontée à un problème de fond: développer une culture industrielle et technique capable de rendre l’apprentissage durablement attractif. Sans ce rééquilibrage structurel, les chiffres seuls ne suffiront pas à transformer le paysage économique français.

    Apprentissage et fractures territoriales en Europe

    L’efficacité de l’apprentissage dépend fortement du tissu économique local. Trois pays illustrent cette relation entre géographie productive et opportunités d’alternance : l’Italie, l’Espagne et la France.

    1. Italie : le Nord forme, le Sud décroche

    – Le nord industriel (Lombardie, Émilie-Romagne) soutient une part significative des contrats d’apprentissage.
    – Le sud souffre d’un tissu productif plus faible, d’un chômage structurel et d’une économie informelle persistante.
    – Le système dual peine à s’y implanter durablement malgré les réformes récentes.

    2. Espagne : un autre clivage nord-sud

    – L’apprentissage est encore peu développé à l’échelle nationale (~280 000 apprentis en 2024).
    – Les régions comme la Catalogne ou le Pays basque tirent les chiffres vers le haut.
    – Le sud reste marqué par des taux de chômage élevés chez les jeunes et une faible implication des entreprises locales.

    3. France : des poches industrielles éclatées

    – Le modèle industriel français a été concentré historiquement dans le Nord, l’Est, le Centre et les vallées minières.
    – Ces régions ont été lourdement désindustrialisées entre 1975 et 2000 (textile, mines, sidérurgie) sans politique de reconversion efficace.
    – L’industrie résiduelle se concentre aujourd’hui près des frontières (Alsace, Rhône-Alpes), des ports (Le Havre, Fos) et des bassins dynamiques (Toulouse, Nantes).
    – L’apprentissage en souffre indirectement : moins d’ateliers = moins de tuteurs potentiels.

    En résumé : le succès de l’apprentissage repose sur un triptyque : présence d’emplois productifs, culture technique locale et capacité des PME à transmettre. L’absence d’un seul de ces éléments génère une fracture durable.