Quand la foi devient une arme : l’instrumentalisation politique de la religion

Introduction

L’histoire peut excuser bien des choses : dans les sociétés anciennes, les religions ont souvent servi à structurer un monde encore inintelligible, en l’absence de science. Mais ce que nous observons aujourd’hui n’est pas un résidu de croyance naïve : c’est une instrumentalisation volontaire de la foi à des fins de pouvoir. De Donald Trump à Vladimir Poutine en passant par Jair Bolsonaro, des dirigeants utilisent la religion non pour guider les consciences, mais pour manipuler les masses. La foi, qui devrait rester un choix personnel, devient un levier politique, un étendard idéologique, voire une arme contre la raison.

1. La foi ancienne : un cadre dans un monde sans science

Les récits religieux fondateurs — Bible, Coran, Védas — sont nés dans des contextes historiques où le monde était encore largement incompris. Ils servaient à expliquer la mort, les catastrophes, les naissances ou l’alternance des saisons. Écrits par des élites lettrées, ces textes n’étaient pas accessibles au peuple, et servaient davantage à stabiliser l’ordre social qu’à élever l’âme. La spiritualité personnelle n’y occupait qu’une place marginale.

2. L’usage moderne : de la foi privée à l’arme politique

Ce qui est aujourd’hui condamnable, c’est le retour d’une religion instrumentalisée dans des sociétés pourtant éduquées. Aux États-Unis, les évangélistes ont transformé leur foi en entreprise d’influence, soutenant sans réserve un Donald Trump grossier, mensonger et immoral. Autour de lui, des pasteurs prient en direct à la Maison Blanche, appelant à l’extermination symbolique du ‘mal’, désignant tour à tour les démocrates, les scientifiques, ou les journalistes.

En parallèle, le créationnisme est promu comme vérité dans les écoles, et le darwinisme taxé de ‘wokisme’. C’est un effondrement de la pensée rationnelle, une falsification de l’éducation.

3. D’autres figures, mêmes méthodes : Bolsonaro, Poutine, Orban

Jair Bolsonaro au Brésil a utilisé les mêmes ressorts, s’alliant avec les évangéliques pour justifier sa politique autoritaire, son mépris de la santé publique et sa vision ultra-conservatrice de la société.

Vladimir Poutine, de son côté, utilise l’Église orthodoxe comme légitimation d’un pouvoir impérial et agressif. Il prétend défendre la ‘civilisation chrétienne’ contre un Occident décadent, occultant ses propres crimes et soutenant une lecture mystique du territoire et de la guerre.

Partout, on voit se profiler le même schéma : une foi instrumentalisée, une population manipulée, et une science disqualifiée. L’objectif n’est pas de guider, mais de dominer.

Eisenhower et Billy Graham – entre foi civique et foi militante

On oublie souvent que c’est le président Dwight D. Eisenhower, pourtant peu religieux dans sa vie privée, qui a institutionnalisé le lien entre foi et pouvoir politique aux États-Unis. Dans un contexte de guerre froide et de lutte contre le communisme athée, il a encouragé une foi civique supposée renforcer la cohésion nationale.

Il est à l’origine de plusieurs mesures symboliques fortes : l’ajout de l’expression « under God » dans le serment d’allégeance (1954), l’adoption de la devise officielle « In God We Trust » (1956), et l’instauration du National Prayer Breakfast, toujours en place. Il déclara même : « Notre forme de gouvernement n’a de sens que si elle est fondée sur une foi religieuse. Et je ne me soucie pas de laquelle. »

Billy Graham, de son côté, fut une figure centrale de ce rapprochement entre évangélisme et pouvoir politique. Il a conseillé plusieurs présidents — d’Eisenhower à Bush — et contribué à inscrire la foi chrétienne dans la rhétorique présidentielle américaine.

Mais il serait injuste de le réduire à un simple acteur conservateur. Billy Graham s’est opposé publiquement à la ségrégation raciale. Il a refusé de prêcher devant des foules séparées, a fait enlever les barrières entre Noirs et Blancs, et a tendu la main à Martin Luther King. Cette position courageuse lui a valu critiques et oppositions, mais elle montre que même chez ceux qui ont rapproché foi et politique, la conscience morale n’était pas absente.

Conclusion

La foi mérite le respect. Mais elle doit rester dans la sphère privée. Lorsque des dirigeants utilisent Dieu pour imposer leurs vues, nier la science ou diviser la société, ils pervertissent à la fois la démocratie et la religion. L’histoire a montré où mène la fusion du pouvoir politique et religieux. Refusons cette dérive.

« Le fanatisme consiste à redoubler d’effort quand on a oublié son but. » — George Santayana