« La liberté commence là où s’arrête le mensonge. » — Vaclav Havel
Préambule : d’une bienveillance critique à la sidération
Pendant des décennies, nous autres Européens avons regardé les États-Unis avec une forme d’ambivalence éclairée : ni dupes du rêve américain, ni hostiles à ce pays qui fut pour beaucoup un allié, un modèle de dynamisme démocratique, d’innovation et de résilience. Nous connaissions ses failles — l’assassinat de JFK, la guerre du Vietnam, le Watergate, les dérives de la CIA, le racisme systémique — mais nous constations aussi sa capacité à se corriger, à préserver un socle commun de valeurs partagées : le respect des institutions, de l’alternance démocratique, de la vérité judiciaire.
Or, ce matin encore, un nouveau cap vient d’être franchi, brutalement, dans le silence gêné des chancelleries et le brouhaha désinvolte des réseaux sociaux : Donald Trump a accusé Barack Obama de trahison, insinuant qu’il aurait fomenté un complot contre lui en 2016, sans la moindre preuve, avec une froideur qui confine au cynisme.
Une accusation sans précédent… et sans conséquence ?
Que penser d’un homme qui fut président, qui l’est redevenu, et qui ose accuser son prédécesseur d’avoir comploté contre lui, sans fondement, sans documents, sans procédure ? Si cette déclaration avait été lancée dans une république bananière, elle aurait sans doute provoqué un putsch ou un exil. Aux États-Unis, elle fait désormais partie du flux quotidien d’indignités proférées sans conséquences.
Le plus inquiétant n’est pas tant l’outrance elle-même — nous y sommes hélas habitués — mais le silence, l’inaction, l’anesthésie qu’elle suscite. L’indignation ne provoque plus rien. La honte ne fait plus reculer personne. La démocratie semble frappée de stupeur, comme si elle avait abdiqué devant la répétition du scandale.
Que reproche Trump à Obama ? Une réécriture de l’Histoire
Depuis plusieurs années, Donald Trump relance périodiquement l’idée que l’administration Obama aurait tenté d’espionner sa campagne électorale en 2016. Cette théorie, surnommée par lui-même Obamagate, repose sur l’enquête ouverte à l’époque concernant les liens entre l’équipe Trump et la Russie. Aucun fait établi, aucun procès n’est venu démontrer une quelconque trahison. Mais Trump, par l’accusation publique, substitue la force de l’insinuation à celle de la preuve, et retourne les institutions contre elles-mêmes.
Une démocratie en apnée
Peut-on encore appeler démocratie un régime dans lequel :
– Un président peut accuser un autre de trahison sans preuve ni suite judiciaire ?
– Une tentative de renversement institutionnel comme celle du 6 janvier 2021 ne suffit pas à disqualifier moralement un candidat ?
– Le système médiatique fonctionne comme une caisse de résonance, incapable de faire la différence entre le fait et l’intox ?
Les mots perdent leur sens, la décence est un souvenir. Nous assistons peut-être, sans le dire vraiment, à l’effacement progressif de la démocratie américaine sous nos yeux.
L’Europe face au vertige
Que faire, nous Européens, face à cela ? Nous contenter de constater ? Feindre de croire que cela ne nous concerne pas ? Espérer un sursaut ?
Le moment est venu de refuser l’indifférence. Non pour faire la morale, mais pour rappeler que la démocratie n’est pas un état naturel : c’est une construction fragile, qui exige du courage, du respect, de la vérité.
Si les États-Unis tombent, nous perdrons bien plus qu’un allié. Nous perdrons un miroir, une mémoire commune, un pilier de l’ordre libéral mondial.
Conclusion : Un homme, une dérive, une abdication collective
Donald Trump ne fait pas que diviser l’Amérique : il la dégrade dans son essence, et banalise des comportements qui devraient susciter l’exclusion immédiate de la vie publique. Que rien ne se passe après de telles accusations montre à quel point la politique s’est détachée de la morale.
Il n’est plus temps d’attendre. Il est temps de dire. Et de choisir entre la vérité… et l’habitude du mensonge.