Une relation asymétrique au service des ambitions chinoises et de la survie stratégique de la Russie
Introduction
L’alliance sino-russe est souvent présentée comme un front uni face aux États-Unis et à l’Occident. Pourtant, derrière l’image d’une relation d’égal à égal se cache une réalité bien plus asymétrique. La Chine, loin de rechercher un véritable partenariat géopolitique, exploite l’affaiblissement russe pour renforcer sa propre autonomie stratégique. Cet article propose une lecture analytique de cette relation à travers ses dimensions économiques, territoriales et historiques.
1. Une relation asymétrique maquillée en partenariat
Alors que Xi Jinping proclamait en février 2022 une « amitié sans limites » entre Pékin et Moscou, la réalité est bien différente. La Chine n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée en 2014, ni celle des régions ukrainiennes occupées en 2022. Les exportations russes vers la Chine ont explosé depuis les sanctions occidentales, mais les prix sont désormais dictés par Pékin. En 2023, plus de 30 % des exportations russes étaient destinées à la Chine, selon les données douanières russes.
2. L’Extrême-Orient russe : une conquête douce
Cette région immense (6,2 millions de km²) compte moins de 7 millions d’habitants russes, contre des provinces frontalières chinoises densément peuplées comme le Heilongjiang. Pékin y voit une opportunité unique : des terres agricoles, du bois, des minéraux et de l’eau douce. Des baux de longue durée ont été signés pour l’exploitation de centaines de milliers d’hectares, comme celui de 115 000 ha à Huae Xingbang (2015).
3. Une guerre en Ukraine profitable à Pékin
En profitant du désengagement européen, la Chine achète le pétrole et le gaz russes à des prix fortement réduits. Elle paie parfois en yuan, renforçant la dédollarisation progressive du commerce bilatéral. Le gazoduc Force de Sibérie 1, déjà opérationnel, et les négociations sur Force de Sibérie 2 renforcent sa position dominante. Selon le CSIS, la Russie est désormais un fournisseur captif.
4. Une alliance idéologique inexistante
Contrairement à Moscou, Pékin ne cherche pas la confrontation avec l’Occident. Elle multiplie les accords commerciaux dans le Sud global tout en maintenant une posture prudente. Elle n’a reconnu ni l’Abkhazie, ni l’Ossétie du Sud, ni les référendums organisés par la Russie. « Nous sommes proches mais non alignés », déclarait Wang Yi en 2023.
5. Objectif réel de la Chine : autonomie stratégique et domination régionale
En s’assurant un accès bon marché aux ressources russes, la Chine renforce sa sécurité énergétique, alimentaire et logistique. Elle consolide un glacis protecteur à sa frontière nord tout en affaiblissant l’influence russe en Asie centrale. La Russie devient, de facto, un maillon faible de sa stratégie globale.
Encadré – Les traités frontaliers sino-russes
• Traité de Nertchinsk (1689) : premier accord frontalier entre la Chine Qing et la Russie tsariste.
• Traité d’Aigun (1858) : la Chine cède à la Russie des territoires au nord de l’Amour.
• Traité de Pékin (1860) : extension des concessions au-delà de l’Oussouri. Ces traités sont considérés en Chine comme des « traités inégaux » imposés par la force.
Conclusion
Derrière les discours de solidarité stratégique se cache une réalité brutale : la Russie est devenue un vassal énergétique et territorial de la Chine. Pékin n’a pas besoin de cette alliance, mais elle en tire tous les bénéfices, en minimisant les risques. La Chine avance masquée, pendant que la Russie s’enfonce dans une guerre d’usure.
« La suprême habileté consiste à briser la résistance de l’ennemi sans combattre. » – Sun Tzu, L’Art de la guerre
Carte historique – Les territoires cédés à la Russie au XIXe siècle
La carte ci-dessous, extraite des archives de la Library of Congress (1966), montre précisément la délimitation des territoires cédés par la Chine impériale à la Russie :
– En jaune : territoires obtenus par le traité d’Aigun (1858)
– En rouge : territoires obtenus par le traité de Pékin (1860)
– En hachuré : frontière antérieure définie par le traité de Nertchinsk (1689)
On y voit clairement que Vladivostok, alors appelé Haishenwai, faisait partie de la Mandchourie historique, tout comme l’ensemble de la région de l’Amour et de l’Oussouri.

La vision chinoise des « territoires perdus »
Dans la mémoire collective chinoise, les traités de Nertchinsk, d’Aigun et de Pékin sont intégrés à la liste des « traités inégaux » signés durant le « siècle des humiliations » (1839–1949). Sous la dynastie Qing affaiblie, la Chine a été contrainte de céder d’immenses territoires à la Russie tsariste, perçue alors comme une puissance impérialiste.
Ces zones frontalières, notamment autour de l’Amour, du fleuve Oussouri et de Vladivostok, sont encore mentionnées dans certains manuels chinois comme des pertes historiques. Si la Chine officielle ne revendique pas ouvertement ces territoires aujourd’hui, elle conserve un droit moral sur leur mémoire.