L’accusation de Trump
Le président Trump a déclaré que « les États-Unis se font avoir par l’Union européenne » et qu’ils sont « arnaqués » dans leurs relations commerciales.
Selon lui :
- Le déficit commercial massif avec l’UE est une preuve d’injustice ;
- Les droits de douane européens sont trop élevés par rapport à ceux des États-Unis ;
- L’UE impose des barrières non tarifaires (normes, interdictions…) qui pénalisent les exportateurs américains ;
- L’Europe refuse une ouverture équitable malgré les négociations.
Que disent les faits ?
- Le déficit de biens est réel, mais partiel :
- En 2024, les États-Unis ont enregistré un déficit de 235 milliards $ sur les biens échangés avec l’UE.
- Cependant, ce déficit est largement compensé par un excédent dans les services (finance, cloud, données, publicité).
- Les droits de douane européens ne sont pas élevés :
- Moyenne de 1–2 % sur les produits industriels
- Quelques exceptions dans l’agroalimentaire, liées aux normes sanitaires ;
- Les tarifs sont appliqués selon les règles de l’OMC, identiques pour tous les pays tiers.
- Les normes européennes ne sont pas des pièges anti-US :
- Elles s’appliquent aussi aux producteurs européens ;
- Refuser la viande aux hormones ou les OGM n’est pas une discrimination, mais un choix de société.
- L’Europe n’a pas refusé de négocier :
- Plusieurs rounds de négociation ont eu lieu (TTIP, etc.), souvent bloqués… par l’opinion publique américaine ou européenne elle-même.
Ce que Trump oublie (ou feint d’ignorer)
- Le commerce international n’est pas un jeu à somme nulle : même avec un déficit, les deux parties peuvent en tirer des bénéfices ;
- Les taxes douanières sont payées par les consommateurs américains, pas par l’UE ;
- L’idée que l’UE « exploite » les USA repose sur une lecture simpliste du commerce mondial
Il s’agit d’une stratégie électorale classique de Trump : créer un adversaire extérieur, désigner un coupable, et proposer une solution musclée à effet médiatique.
Tableau explicatif : services vs biens
| Poste commercial | Solde USA avec l’UE (2024) |
| Biens (marchandises) | –235 milliards $ |
| Services | +148 milliards $ |
| Revenus d’investissements | +65 milliards $ |
| Solde global approximatif | –20 à –30 milliards $ |
Conclusion
- L’accusation d’« arnaque » est avant tout une formule rhétorique, non une réalité économique.
- L’Europe ne manipule ni ses tarifs, ni ses normes au détriment des États-Unis.
- La menace d’unilatéralisme tarifaire vise davantage à impressionner qu’à rééquilibrer quoi que ce soit de durable.
Reste à l’UE de répondre fermement, sans céder à la panique ni tomber dans le piège d’une guerre commerciale.
Les taxes sur l’acier, l’aluminium et le cuivre : un coup de massue pour l’industrie
Depuis juillet 2025, l’administration Trump a officialisé une surtaxe de 30 % sur les importations d’acier, d’aluminium et de cuivre. Cela revient à frapper au cœur des chaînes d’approvisionnement américaines, avec trois effets directs :
- Une hausse des coûts pour les entreprises
- Les industries automobiles, aéronautiques, électroniques, de la construction… dépendent fortement de ces matériaux.
- Une hausse de 30 % sur les matières premières se répercute sur tous les prix finaux.
- Un risque de ralentissement économique
- Hausse des coûts = baisse de compétitivité.
- Si les entreprises freinent leurs investissements ou licencient, une récession n’est plus une hypothèse théorique.
- L’inflation importée, cumulée aux taux élevés de la Fed, aggrave les risques de contraction.
- Des chaînes logistiques perturbées
- Si l’approvisionnement devient trop cher, il faut trouver d’autres fournisseurs : logistique incertaine, qualité variable, délais plus longs
- Et les États-Unis ne disposent ni des stocks ni des capacités minières suffisantes pour produire localement tous ces métaux de manière compétitive.
Le vrai problème : une économie sous perfusion de consommation
Les Américains consomment trop:
- Le taux d’épargne des ménages américains reste inférieur à 5 % (contre 10–15 % en Allemagne).
- L’économie repose sur la consommation intérieure, encouragée par le crédit à la consommation et les facilités fiscales.
Et produisent insuffisamment de biens manufacturés
- Les États-Unis ont délocalisé massivement leur production depuis 40 ans.
- Ils se sont spécialisés dans les services, la tech, la finance — mais pas l’industrie lourde.
Résultat : plus de taxes = plus de déséquilibre
| Effet escompté par Trump | Réalité probable |
| Réindustrialiser les États-Unis | Possible à long terme, mais pas en 6 mois |
| Créer des emplois locaux | Difficile sans main-d’œuvre ni machines |
| Réduire le déficit commercial | Illusoire : la consommation ne faiblit pas |
| Affaiblir l’Europe | Peut-être, mais au prix d’un affaiblissement US aussi |
Derrière la colère : la protection des GAFAM, champions fiscaux
L’un des facteurs silencieux — mais centraux — dans l’escalade commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne est le projet européen de taxation des géants du numérique, en particulier les GAFAM (Google, Apple, Facebook/Meta, Amazon, Microsoft).
Une taxation justifiée et différée
Depuis plus de dix ans, l’UE tente de faire payer aux GAFAM une part équitable de leurs profits générés en Europe. Les raisons sont multiples :
- Des profits colossaux non taxés localement :
La majorité des revenus publicitaires (Google, Facebook), des abonnements numériques (Apple, Microsoft), ou du commerce en ligne (Amazon) proviennent de clients européens, mais sont enregistrés en Irlande, Luxembourg ou Bermudes. - Des montages d’optimisation fiscale sophistiqués :
Exemples célèbres :- Le « Double irlandais avec sandwich hollandais » (désormais interdit, mais remplacé par d’autres schémas) ;
- Des redevances internes vers des entités intragroupe installées dans des paradis fiscaux.
- Une distorsion de concurrence :
Les entreprises locales paient leurs impôts, pas les GAFAM. Résultat : elles sont pénalisées sur leur propre marché.
Une fiscalité américaine extraterritoriale
Ironie : les États-Unis pratiquent une fiscalité à portée mondiale :
- Tout citoyen ou entreprise américaine est tenu de déclarer ses revenus mondiaux ;
- Des lois comme FATCA obligent les banques étrangères à transmettre des données au fisc américain ;
- Les USA bénéficient donc de la richesse produite hors de leur territoire, tout en s’opposant à la réciprocité.
Pourquoi la taxe numérique européenne agace autant Washington ?
| Reproche US à l’UE | Réalité économique |
| L’UE cible injustement nos entreprises | Non : la taxe vise les multinationales numériques, majoritairement américaines |
| Cette taxe est discriminatoire | Elle est neutre dans son principe, mais touche surtout les GAFAM par effet de taille |
| Elle viole les accords de l’OMC | En réalité, l’UE a adapté son approche pour qu’elle reste conforme (OCDE incluse) |
| On nous vole nos entreprises | Les profits sont générés en Europe, par des utilisateurs européens, sur des services vendus en Europe |
Machines-outils et ingénierie – le talon d’Achille du protectionnisme américain
Si les États-Unis appliquaient des droits de douane élevés sur les équipements industriels européens – machines-outils, centres d’usinage, outils de précision – le risque économique serait probablement plus grand pour eux que pour l’Europe.
Les machines allemandes, suisses ou italiennes représentent une technologie difficilement substituable. Les États-Unis, malgré leur puissance industrielle, ne possèdent pas actuellement de filière nationale capable de reproduire ces outils à performance égale dans des délais compatibles avec la réindustrialisation annoncée.
Ces équipements sont essentiels dans des secteurs stratégiques : défense, énergie, semi-conducteurs, médical, automobile. Les surtaxer reviendrait à ralentir des investissements américains pourtant portés par les plans de relance et les initiatives de souveraineté industrielle.
Inversement, l’Europe a davantage de débouchés alternatifs (Chine, Inde, Asie) et produit elle-même ce qu’elle consomme. Elle peut amortir une baisse de la demande américaine plus facilement que les États-Unis ne peuvent recréer une filière équivalente.
Il faut aussi se demander si la dramatisation actuelle par les grands industriels européens ne cache pas d’autres objectifs : justifier des aides publiques, ou optimiser leurs coûts de production, notamment salariaux, sous prétexte d’un risque exogène. Dans une logique de rentabilité actionnariale, cette rhétorique permet de socialiser les risques tout en privatisant les marges.